Louis-Athanase FRÉCHETTE – Un président par temps de guerre

par Jean-Pierre Durand

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Louis-Athanase Fréchette

De 1939 à 1943, Louis-Athanase Fréchette sera le président général de la Société Saint- Jean-Baptiste de Montréal, son 54e en titre. Fils de Hormidas Fréchette et d’Édouardina Caron, Louis-Athanase est né à Montréal le 2 mai 1897. Il poursuit des études classiques au Collège de Montréal et au Séminaire de philosophie, puis obtient une licence en droit à l’Université de Montréal, en 1923. L’année suivante, il sera admis à la pratique du notariat. Durant ses études universitaires, il collabore à La Presse et au journal Le Canada. Le 4 mai 1927, il épouse Reine-Aimé Langlois, mais aucun enfant ne naîtra de cette union. À partir de 1929, il est membre du comité directeur de la toute nouvelle Fédération catholique des Éclaireurs canadiens-français (organisation scoute). En 1935, il fonde le journal La Boussole, organe radical des jeunes nationalistes montréalais, fortement anticommuniste.

Fréchette sera très engagé dans diverses organisations, outre la SSJB de Montréal, notamment au sein du mouvement coopératif et financier (il fonde, entre autres, la Caisse populaire d’Outremont en 1944 ; il est l’un des co-fondateurs de la Caisse nationale d’assurance-vie et l’un des directeurs de la Société nationale de fiducie). Il occupera aussi des fonctions importantes au sein de la Ligue d’Action nationale, de la Ligue de l’achat chez nous, de la Ligue pour la défense du Canada, du Conseil de la vie française en Amérique et de l’Ordre de Jacques-Cartier (aussi connu sous le nom de « la Patente »). Comme on peut le constater, son engagement nationaliste était entier. Pendant un certain temps, dans les années trente, on le suspectera d’être aussi du côté fasciste, soit avec le Parti National Social Chrétien (PNSC) d’Adrien Arcand (l’auteure Denise Robillard mentionne que l’influence d’Adrien Arcand était telle qu’un journaliste de l’époque, René Belleau, rapporta que la SSJB était en voie de passer corps et biens aux mains de M. Arcand). Bien entendu, cette association avec Arcand – quoique de courte durée – est à plus d’un titre éminemment condamnable et rien ne peut la justifier ni encore moins l’excuser. Fort heureusement, les idées d’Adrien Arcand seront vite écartées, évincées même, et les nationalistes canadiens-français n’y succomberont pas. Nous faisons toutefois la distinction ici entre le fascisme d’Adrien Arcand proprement dit et l’idéologie pétainiste, qui, elle, eut longtemps la faveur de l’opinion canadienne-française… au moins jusqu’en 1942. Qu’on en juge ce qu’écrivait Doris Lussier, notre pourtant sympathique père Gédéon, dans La Droite du 15 avril 1941 : À la suite du Portugal de Salazar, de l’Espagne de Franco, et de la France, la douce et chère France de Pétain, l’humanité toute entière renaîtra au soleil de justice et de charité, nimbée de sa couronne de paix, de gloire et d’immortalité. Évidemment, plus tard, quand les nationalistes canadiens-français (ou clérico-nationalistes) découvriront l’horreur des camps de concentration, le terrible holocauste, ils seront catastrophés. On le serait à moins.

Mackensie King, premier ministre du Canada.
Mackensie King, premier ministre du Canada.

Au Congrès de janvier 1937, la SSJB s’oppose à l’immigration massive, réclame une juste part des emplois publics pour les Canadiens français et recommande le salut au drapeau fleurdelisé. Et, bien entendu, la SSJB de Montréal continue à s’intéresser et à soutenir les associations canadiennes-françaises de l’Ouest canadien ainsi que les associations acadiennes et franco-américaines. À l’aube d’un conflit militaire mondial, l’opinion canadiennefrançaise demeurait presque unanimement réfractaire à la participation aux guerres d l’Empire et la SSJB s’en faisait légitimement l’écho. Même si les libéraux sont au pouvoir à Ottawa avec King et qu’ils jurent leurs grands dieux qu’ils ne participeront pas aux guerres européennes, il n’en demeure pas moins que le gouvernement King vote des crédits pour la fabrication d’armements et que les préparatifs militaires vont bon train. À l’époque, il est difficile de savoir à coup sûr si ces armements ne serviront pas tôt ou tard à l’engagement militaire du Canada en Europe. Et, de fait, c’est bien ce qu’il adviendra et, au bout du compte, l’engagement du gouvernement libéral de s’abstenir sera bel et bien trahi.

Afin de ne pas nous disperser, insistons surtout sur l’activité de Louis-Athanase Fréchette au sein de la SSJB. Fréchette fait son entrée au conseil général lors du Congrès du 24 novembre 1938. C’est à ce même congrès que les membres de notre Société, tout en disant regretter la persécution contre les Juifs qui sévit en Allemagne, votent une résolution contre l’immigration juive. Cette attitude est déplorable, voire même indigne, quand bien même elle ne découle pas d’une prise de position raciste comme certains voudraient bien le faire croire. L’idéologie antisémite du nationalisme traditionaliste québécois de cette époque, aussi détestable soit-elle, n’est d’aucune façon comparable à l’idéologie antisémite du nazisme, comme l’expliqua entre autres l’historien Pierre Trépanier pour répondre aux Esther Delisle de ce monde. De plus, on ne doit pas oublier que le premier ministre canadien de l’époque, Mackenzie King, avait rencontré Hitler au cours de l’été 1937 et que celuici lui avait donné bonne impression, si bien que dans son journal, King notera qu’Hitler comptera un jour au même titre que Jeanne d’Arc comme libérateur de son peuple !

Parmi les autres résolutions de ce congrès, on réitère le refus d’une participation aux guerres de l’Angleterre. Pas plus que lors des guerres précédentes (guerre des Boers, 1914- 1918), les Canadiens français ne tiennent à se laisser embrigader. Mais l’année suivante, le 10 septembre 1939, le roi proclame l’état de guerre du Canada contre l’Allemagne. Alors que la province de Québec est opposée à la guerre dans une proportion de quatre-vingtdix pour cent, la propagande de guerre, la censure de guerre et la mobilisation guerrière auront tôt fait d’abattre cette résistance. En outre, la guerre semble aussi à première vue apporter quelques bienfaits : commandes, salaires élevés, résorption du chômage, etc.

Au congrès du 23 novembre 1939, on élit Louis-Athanase Fréchette comme président général, en dépit de sa faible ancienneté au conseil général. On y constate aussi les vains efforts tentés par la société civile contre la participation à la guerre. Fréchette y annonce la lutte contre le courant d’immigration. Pour le défilé du 24 juin 1940, Fréchette propose la suppression de l’enfant personnifiant Jean-Baptiste et du mouton : léopard ! Pareil symbole entretient l’esprit de démission ! Certains esprits « éclairés » enjoignent la Société de renoncer à son défilé parce que la France est défaite (elle va bientôt capituler) et qu’il ne serait donc pas indiqué de célébrer a civilisation française. Cette position défaitiste essuie un refus catégorique de la part de la SSJB… et le défilé se tiendra avec succès malgré ces appels.

Si notre Société ne sera point en mesure de contrecarrer la propagande guerrière, elle fera tout en son pouvoir pour en limiter les dégâts. Au congrès du 28 novembre 1940, Fréchette est réélu président général. Il propose alors cette résolution, dont on peut admirer l’esprit caustique : Le 24 juin et le 13 novembre 1940, le très honorable Mackenzie King [premier ministre du Canada] a fait des déclarations sympathiques aux Canadiens français et favorables à la France. Il a affirménotamment que « les événements actuels imposent au Canada… la mission de défendre les traditions de la culture et de la civilisation françaises » et aux Canadiens français le devoir de les maintenir et de les porter haut. […] Si donc les Canadiens français doivent porter haut les traditions de la culture et de la civilisation françaises, ils ont le droit d’exiger des autorités de leur pays qu’elles fassent disparaître tout obstacle à l’épanouissement et au rayonnement de la culture et de la civilisation françaises au Canada dans le domaine de la radio, des écoles françaises, du fonctionnarisme, etc. C’est pourquoi le président général, les dirigeants et les congressistes de la Société Saint-Jean- Baptiste de Montréal invitent les autorités fédérales à travailler à la réalisation du rêve cher au premier ministre du Canada, en faisant disparaître immédiatement toutes les injustices dont les Canadiens français sont victimes, afin de permettre à ceux-ci de  mieux répondre à la mission du Canada, qui consiste à « défendre les traditions de la culture et de la civilisation françaises. » À ce même congrès, la SSJB s’oppose à la tentative de centralisation fédérale et prône l’autonomie provinciale. En un mot comme en cent, notre Société nationale s’inquiète à la fois de la conscription, de l’immigration et de la centralisation… parce que – le passé étant garant de l’avenir – elle sait que la politique du gouvernement fédéral a toujours été dommageable aux Canadiens français.

Louis-Athanase Fréchette quittera la présidence au Congrès du 25 novembre 1943, refusant sa réélection. Il énumère à nouveau les priorités de la SSJB : davantage de Canadiens français dans l’administration fédérale, lutte contre la centralisation des pouvoirs par l’État fédéral et, enfin, volonté de survivance.

Affiche de propagande, vantant les vertus de l’enrôlement.
Affiche de propagande, vantant les vertus de l’enrôlement.

Il meurt à Outremont, le 2 janvier 1956. Anatole Vanier, dans un hommage qu’il lui rendait, écrira : Convaincu, (Fréchette) aimait, dans les réunions publiques, à défendre ses idées de la manière forte, quelquefois cassante. […] Il envisageait toujours les questions publiques, qu’elles fussent locales, québécoises ou fédérales, du point de vue de la collectivité canadiennefrançaise. […] Il pratiquait sans faiblesse une double fidélité, au catholicisme et à la culture française.

Au début de décembre 1942, les Jeunes Laurentiens invitaient Louis-Athanase Fréchette à venir leur adresser la parole. Celuici termina sa conférence par ces paroles, qui ont encore tout leur sens aujourd’hui : N’allez pas vous désintéresser de la politique active, pour vous cantonner uniquement dans le domaine de l’action sur l’opinion publique. Faites de la politique, mais de la politique au sens large du mot, de cette politique que Bossuet a défini : « l’art de rendre les peuples heureux ». À cette fin vous devrez sans doute bousculer certains esprits retardataires. Aussi, je vous l’ai déjà dit et vous le répète : Quand on appartient à une association dont le but est légitime, noble, élevé, si on perd le droit de se faire aimer, on conserve pour le moins le devoir de se faire craindre. Faites-vous craindre, non pas par la violence des armes ou des propos, mais par la profondeur de vos convictions religieuses, sociales et nationales. Faites-vous craindre par le nombre de vos adhérents. Faitesvous craindre par la qualité et l’équilibre de vos cerveaux et de vos volontés. C’est par la pensée et par l’action qu’on parvient à la puissance et à la grandeur. Pour éviter d’être des serfs, soyez grands.

 

SOURCES BIBLIOGRAPHIQUES
FRÉCHETTE, Louis-Athanase, « Pourquoi des serfs… ? », L’Action nationale, vol. 21, no 1, janvier 1943, pages 50 à 63.
LACOURSIÈRE, Jacques, Histoire populaire du Québec. Tome IV : 1896 à 1960. Sillery, Éditions du Septentrion, 1997, 411 pages.
LAVERTU, Yves, « Singularité du pétainisme québécois », Bulletin d’histoire politique, vol. 3, nos 3-4, printemps-été 1995, pages 178 à 183.
ROBILLARD, Denise, L’Ordre de Jacques Cartier : une société secrète pour les Canadiens français catholiques, 1926-1965, Montréal, Éditions Fides, 2009, 541 pages.
RUMILLY, Robert, Histoire de la Société Saint- Jean-Baptiste de Montréal. Des Patriotes au fleurdelisé, 1834-1948, Montréal, Éditions de l’Aurore, 1975, 564 pages.
TRÉPANIER, Pierre, « Je me souviens – Un film qui joue avec la vérité », Le Devoir, 7 avril 2010.
VANIER, Anatole. « In Memoriam. Athanase Fréchette. » L’Action nationale, mars 1956.