Macdonald était aussi le bourreau des francophones

 

Article dans LE DEVOIR 

Christian Gagnon

La voilà finalement déboulonnée, la statue montréalaise de John A. Macdonald. Les manifestants antiracisme qui ont procédé à cette manœuvre samedi dernier l’ont fait par sympathie pour les Autochtones, ce qui est historiquement exact, compte tenu du sombre bilan du père de la Confédération à leur égard.

Mais ce qui est assourdissant dans le discours des porte-parole de la manifestation, c’est le silence total concernant les torts subis par les francophones sous le joug de Macdonald, membre dès l’âge de 25 ans de la loge orangiste de Kingston, aux intransigeantes positions anti-Canadiens français.

En effet, alors qu’il fut premier ministre de la colonie du Canada-Uni, Macdonald opina du bonnet lorsqu’en 1864, son comparse conservateur Charles Tupper abolit les écoles françaises de la Nouvelle-Écosse. Et lorsqu’en 1871, le Nouveau-Brunswick fit de même, les Acadiens demandèrent aussitôt l’intervention de Macdonald, devenu premier ministre du Canada, ce qu’il leur refusa, prétextant qu’il s’agissait d’une compétence provinciale.

Le pouvoir de désaveu

Pourtant, entre 1867 et 1896, le gouvernement fédéral exerça 65 fois contre des lois provinciales son pouvoir de désaveu, fondé sur l’article 90 de la Constitution de 1867, pour des questions autrement moins fondamentales que les droits scolaires des Canadiens français. De retour au pouvoir en 1873, Macdonald afficha la même indifférence complice envers les Acadiens de l’Île-du-Prince-Édouard, dont les écoles avaient été abolies l’année précédente. Il en fit de même au moment de l’abolition des écoles franco-manitobaines en 1890, même si le Conseil privé de Londres lui suggéra de voter une loi réparatrice.

Cette même indifférence devant les souffrances passées des Canadiens français était patente lorsqu’en juin 2019, la Ville de Montréal annonça le changement du nom de la rue Amherst pour Atateken. Tant la mairesse Valérie Plante que son prédécesseur Denis Coderre fondaient ladite démarche sur le fait qu’en 1763, ce commandant britannique avait écrit à un de ses officiers pour lui donner instruction d’« éradiquer » ses adversaires amérindiens, cette « race répugnante » qu’il détestait, en leur distribuant des couvertures infectées à la petite vérole.

Mais personne n’a mentionné que Jeffrey Amherst dirigea la participation de ses troupes à la prise de la forteresse de Louisbourg. La chute de cette toute dernière place forte française sur la côte Atlantique ouvrit la porte à la déportation et à la mort de milliers d’Acadiens provenant de ce que sont aujourd’hui l’île du Cap-Breton et l’Île-du-Prince-Édouard.

L’opération consistait à finir le funeste travail du lieutenant-gouverneur Robert Monckton en Nouvelle-Écosse. Alors pourquoi les hommages à Macdonald et à Amherst dans notre espace public peuvent-ils aujourd’hui être jugés indésirables parce que ces hommes ont été les tortionnaires des Autochtones, mais pas parce qu’ils ont été les bourreaux des francophones ?

Osons une réponse. C’est parce qu’en 1760, Amherst mena les troupes britanniques qui envahirent Montréal et parce qu’en 1867, Macdonald fonda le Canada. Et donc, dresser le véritable portrait de ces destructeurs du Canada français mettrait en évidence le fait que cette société à laquelle s’identifie fièrement la majorité anglophone du pays s’est aussi construite dans l’oppression des francophones. Ce serait dès lors pousser les Canadiens anglais majoritaires à un examen de conscience sur le sort réservé aux francophones dans le Canada d’hier et d’aujourd’hui.

Or, les Canadiens sont à des années-lumière de vouloir admettre quelque tort passé ou présent en ce sens. L’accueil plus qu’irrité qu’ont réservé les Ontariens aux excuses officielles du gouvernement de Kathleen Wynne présentées en février 2016 pour le règlement 17 ayant banni l’enseignement du français des écoles ontariennes de 1912 à 1927 en est un témoignage clair.

 

L’unité canadienne

L’indifférence anglo-canadienne relativement au très actuel passage à tabac des programmes d’éducation postsecondaire francophone par le gouvernement albertain en est un autre indice. Et ce sera à nouveau manifeste lorsque s’exprimera la fort prévisible exaspération du « Rest of Canada » si, comme il en a annoncé l’intention, le gouvernement Trudeau tente de réformer la Loi canadienne sur les langues officielles.

Mais, également, exprimer sa sympathie à l’égard d’Autochtones peu nombreux, disséminés partout dans le territoire et donc électoralement inoffensifs, n’est pas bien angoissant.

Par contre, admettre que le Canada n’a jamais cessé de faire un mauvais parti à ses francophones, ce serait convenir que, tout bien réfléchi, le Québec issu du coup de force de 1982 n’est pas ce « rotten kid of Confederation » tant honni.

Ce serait aussi donner raison à des « séparatistes » concentrés au Québec et politiquement organisés. Et pour un fédéraliste, même québécois, l’unité canadienne a toujours préséance sur la défense de ses francophones. Et, ça aussi, c’est du vandalisme.

 

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