Christian Rioux | LeDevoir
Dure défaite pour Rajoy, qui espérait briser l’élan souverainiste
Madrid a perdu son pari une fois de plus. En mettant la Catalogne en tutelle et en imposant des élections anticipées, le président espagnol, Mariano Rajoy, espérait ébranler la faible majorité des indépendantistes catalans. Avec une participation historique de 82 %, cette majorité en Chambre a été facilement reconduite à l’occasion de ces élections menées depuis un mois dans des conditions rarement vues en Europe. La défaite est double pour Mariano Rajoy puisque son parti, le Partido Popular, arrive bon dernier en Catalogne.
Mais c’est le parti unioniste Ciutadans, dirigé par la jeune Inés Arrimadas, qui devient le premier parti de Catalogne, devançant celui de Carles Puigdemont, Junts per Catalunya (JxCat). Malgré ses 37 députés, Ciutadans ne pourra cependant pas former de gouvernement, le bloc unioniste étant nettement minoritaire.
La victoire de Puigdemont
De Bruxelles, où il est en exil, Carles Puigdemont en a appelé directement à Mariano Rajoy et à l’Europe. « La République catalane a gagné sur la monarchie qui nous impose l’article 155 [qui met la Catalogne en tutelle], a-t-il déclaré. […] Il faut une rectification et la restitution de la démocratie et du gouvernement légitime. La solution de Mariano Rajoy ne marche pas, l’Europe doit en prendre note. […] Elle doit savoir qu’aucune solution ne marchera si on ne prend pas en compte le peuple catalan. […] Dès demain matin, l’article 155 doit être levé, les prisonniers politiques libérés et l’on doit commencer à chercher une solution politique. »
Malgré l’exil à Bruxelles de Puigdemont et l’emprisonnement d’Oriol Junqueras, chef d’Esquerra Republicana de Catalunya (ERC), le bloc indépendantiste a fait élire 70 députés, ce qui lui donne une majorité de trois députés. Avec respectivement 34 et 32 députés, les deux grands partis indépendantistes (JxCat et ERC) améliorent leur score de 2015 alors que le petit parti indépendantiste d’extrême gauche CUP n’obtient que 4 sièges.
Malgré ce qu’avaient laissé penser les sondages, c’est donc le parti du président destitué Carles Puigdemont qui conserve l’avantage sur son rival historique ERC. À Bruxelles, le président catalan était tout sourire tant cette élection apparaît comme une victoire personnelle et un blanc-seing des électeurs pour son exil à Bruxelles où il a pu faire campagne et forcer Madrid à abandonner toute velléité de l’extrader. Dans le nouveau Parlement, une large majorité de 78 députés souhaite la tenue d’un référendum sur l’indépendance, a-t-il souligné.
Ciutadans en tête
Pour la première fois depuis le retour de la démocratie en Espagne, c’est un parti unioniste radicalement antinationaliste, Ciutadans, qui devient le premier parti de Catalogne. Dirigé par la jeune Inés Arrimadas, Ciutadans a siphonné les voix du Partido Popular qui sort de cette élection décimé avec seulement 3 députés, un record historique. La défaite est donc double pour le président espagnol.
« Nous sommes les gagnants de cette élection », a déclaré Inés Arrimadas qui s’est adressée en espagnol uniquement aux quelques centaines de militants réunis sur la place d’Espagne à Barcelone. « La majorité sociale en Catalogne est catalane, elle est espagnole et européenne. […] Les partis nationalistes ne pourront plus parler au nom de toute la Catalogne. »
Né il y a 10 ans à peine pour s’opposer aux nationalistes, Ciutadans devient donc le leader de tous ceux qui s’opposent à l’indépendance et à la tenue d’un référendum. Le parti n’a cependant pas réussi à gruger les votes du Parti socialiste catalan (PSC) qui, avec 17 députés, a bien résisté. Selon de nombreux observateurs, cette victoire symbolique en Catalogne pourrait servir de marchepied à la maison mère madrilène, Ciudadanos, pour prétendre à la succession de Mariano Rajoy.
À quand le retour du gouvernement légitime ?
Chez les indépendantistes de la grande organisation Assemblée nationale catalane (ANC), on interprétait ce résultat comme une « double victoire », compte tenu des conditions difficiles de la campagne, avec un leader en exil et un autre en prison. On veut aussi y voir une validation du résultat du référendum bancal du 1er octobre qui avait donné une majorité à l’indépendance — mais avec une participation de seulement 45 %. L’organisation, dont le leader Jordi Sanchez est en prison, réclame « le retour immédiat du gouvernement légitime ».
C’est dans une ambiance grave que les Catalans se sont massivement mobilisés pour faire la queue devant les urnes en cette journée travaillée alors que les élections se déroulent habituellement le dimanche. Selon une journaliste d’El País, à Gérone, les urnes étaient tellement pleines que des électeurs ont eu de la difficulté à y introduire leur bulletin.
De nombreux Catalans sont allés voter vêtus de jaune en signe de soutien aux leaders nationalistes emprisonnés. À la boutique Humana, sur la rue Creu Coberta à Barcelone, les t-shirts jaunes étaient en vitrine en solde à cinq euros. Même le club de football Gironna FC, de la très nationaliste ville de Gironne, a joué jeudi soir en maillots jaunes. De sa prison d’Estremera, Oriol Junqueras a fait parvenir un tweet dans lequel il disait que la prison le « rendait plus fort ».
Pendant que l’on dansait à l’assemblée de l’ANC, et que Ciutadans avait monté une scène sur la place d’Espagne à Barcelone, les Catalans ont accueilli ce résultat dans le calme. Si on sait quel gouvernement ils souhaitent, personne ne pouvait dire jeudi soir comment il sera possible de le former. Carles Puigdemont pourra-t-il revenir de Bruxelles ? Oriol Junqueras, tête de liste d’ERC, et Jordi Sanchez pourront-ils être investis ? Le statu quo qui avait mené à un affrontement frontal lors du référendum sauvagement réprimé du 1er octobre est donc intact. L’avenir de la Catalogne semble toujours aussi incertain.