Mordecai sans pagaille

 

biblioLors de son assemblée générale tenue les 12 et 13 mars derniers, les délégués de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal ont adopté une résolution d’urgence visant à dénoncer le changement de nom de la bibliothèque du Mile End pour Bibliothèque Mordecai-Richler.

 

 

Voici une lettre ouverte à cet effet rédigée par Christian Gagnon,
nouvellement réélu conseiller général de la SSJB

 

 

Le maire de Montréal, Denis Coderre, a finalement jeté son dévolu sur la bibliothèque du Mile End pour honorer l’écrivain Mordecai Richler. Comme pour anticiper les critiques et amadouer à l’avance les mécontents potentiels, le maire a parsemé son hommage de quelques épithètes d’une très subtile tiédeur, qualifiant Richler d’« enfant terrible » et de « polémiste ». Mais M. Coderre a opiné qu’il fallait surtout considérer Mordecai Richler comme « un ambassadeur culturel extraordinaire ». On associe pourtant le travail d’un ambassadeur à la diplomatie.  Or, entre autres affirmations de diffamation planétaire délibérée, M. Richler avait jadis cité dans son livre « Oh Canada! Oh Quebec! – Requiem for a Divided Country », la statistique qu’il savait fausse à l’effet que 70% des francophones du Québec moderne étaient « hautement antisémites ». Ce chiffre grotesque avait fini dans plusieurs journaux américains et britanniques. Souvenons-nous également que notre ambassadeur culturel avait écrit dans le prestigieux magazine The New Yorker, qu’en 1976, le Parti québécois avait choisi pour ritournelle électorale un chant nazi. Dans les faits, il s’agissait de la chanson « Demain nous appartient », composée par Stéphane Venne. Mais il y a sans doute dans l’hommage montréalais  rendu à Richler quelque chose de déculpabilisant, en ce qu’il tend  à infirmer les accusations de Mordecai Richler à l’endroit de la société francophone du Québec qu’en 1992, il qualifia de « communauté tribale ». Il semble bien que la thérapie collective qu’en 1977 le Dr Camille Laurin souhaitait faire suivre aux Québécois par le biais de la Loi 101 ne soit pas encore concluante.

 

Richler_webPour décider ou non d’inclure le nom de Mordecai Richler dans la toponymie de Montréal, il faut bien sûr considérer la grande qualité de son œuvre littéraire. Par contre, le temps venu de choisir, on ne peut faire abstraction du profil sociologique du lieu à retenir. Rappelons qu’à l’ouest, le boulevard René-Lévesque s’arrête à la rue Atwater parce qu’en 1987, la mairesse May Cutler de Westmount a décliné l’invitation du maire Jean Doré de dénommer sa portion du boulevard Dorschester. Chez nos concitoyens anglophones, l’autoflagellation a donc apparemment ses limites. En 2012, Montréal a inauguré un petit espace vert de l’est de la ville en hommage à Pierre Bourgault. Tribun exceptionnel, Bourgault n’allait cependant pas à la cheville de Richler en matière de médisance. Or toute personne honnête sera forcée d’admettre que de tenter d’installer l’espace Pierre-Bourgault à l’ouest du boulevard Décarie eut relevé du plus pur suicide politique. Pourtant, lorsque vient le temps de rebaptiser du nom de Mordecai Richler une bibliothèque desservant à la fois le Plateau-Mont-Royal et Outremont, c’est le calme plat.
Ce 12 mars, le maire Coderre nous disait que Richler représentait « surtout un symbole fort de tout ce qui constitue l’identité montréalaise. » L’annonce du nouveau nom de la bibliothèque du Mile End nous en apprend-t-elle davantage sur la bonasserie des francophones de cette ville ou sur l’intransigeance des anglophones? Sans doute un peu des deux.
Christian Gagnon
Montréal​