Mort de François Aquin, premier député indépendantiste au Québec

Sa défection du Parti libéral en 1967 avait provoqué une profonde onde de choc

Jean-François Nadeau  | Le Devoir

L’avocat François Aquin, figure de proue du Parti libéral du Québec jusqu’à ce qu’il le quitte abruptement en 1967, est décédé à l’âge de 88 ans. Cousin de l’écrivain et militant Hubert Aquin, il avait précédé René Lévesque dans la voie indépendantiste en devenant le premier député de cette option à siéger à l’Assemblée nationale. Il est considéré comme une figure historique majeure de cette option politique.

Le « Vive le Québec libre ! » lancé par le général de Gaulle le 24 juillet 1967 du haut du balcon de l’hôtel de ville de Montréal marque pour lui l’occasion d’une rupture qu’il couvait en lui-même suite à une longue réflexion quant à l’avenir du Québec. Figure très en vue du Parti libéral, il en démissionne le 28 juillet 1967, en total désaccord avec la position défavorable de son chef, Jean Lesage, face aux déclarations du président français. Aquin déclare alors ceci : « Par-delà des querelles de mots d’interprétation, de protocole, je veux voir dans les propos du général de Gaulle un appel à la dignité du peuple québécois et au droit qui est le sien de s’auto déterminer. » Cette déclaration n’est pas alors le fait d’un obscur député en rupture de ban mais bien le fait d’un de ses plus illustres intellectuels du parti.

Sous le régime de Maurice Duplessis et de son Union nationale, il milite auprès de l’opposition libérale à compter de 1952. Il est élu en 1959 président de la Fédération des jeunes libéraux du Québec. Cette fonction bien en vue, il l’occupera jusqu’en 1963 pour devenir alors président de la Fédération libérale du Québec. Il est élu député libéral du comté de Dorion à l’élection de 1966, alors même que son parti est battu par l’Union nationale, un parti désormais dirigé par Daniel Johnson père.

Sa démission est officialisée par un discours prononcé le 3 août 1967 en chambre. Il dit : « Je siège maintenant ici seul, libre de tous les partis mais l’heure approche où chaque homme libre au Québec devra aller au fond des choses et dire le fond de sa pensée. Jamais n’a été aussi pressante l’oeuvre de la libération du Québec, prisonnier d’une constitution tombée en désuétude et qui, tout en étant une entrave pour nous, est devenue un tremplin pour le gouvernement du Canada. Abandonnons ces masques du statu quo que sont le changement de la Constitution canadienne et l’évolutionnisme conservateur du statut particulier. Ce n’est pas en points d’impôt que l’on bâtit le destin d’un peuple. Par-delà les arguties et les juristes et les experts fiscaux, au plus profond de lui-même, le Québec a choisi la liberté. »

Il est absolument convaincu que l’avenir condamnera ceux qui n’ont pas vu la conjoncture de 1967 comme une ouverture vers une plus grande liberté. En chambre, Aquin poursuit. Il dit : « Dans 25 ans, dans 50 ans, alors que depuis des décennies le Québec sera devenu une patrie libre, alors que, par-delà les sociétés colonisatrices révolues, il aura tendu la main aux autres territoires libres d’Amérique, d’Asie, d’Afrique et d’Europe, alors qu’il fera le poids de la mégalopolis française sur le sol des Amériques, des hommes et des femmes viendront dans cette enceinte et ils ne seront pas intéressés par les débats partisans que nous y avons tenus. À notre sujet, ils ne se poseront qu’une seule question : Est-ce que c’étaient des hommes libres ? »

 

Un homme courtisé

Le président du Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN), Pierre Bourgault, tentera d’en faire un allié. Cinq ou six rencontres eurent lieu entre les deux hommes. Bourgault ne tarira jamais d’éloge au sujet d’Aquin. « Voici un des Québécois les plus valables, les plus prometteurs. Intelligent, cultivé, brillant, dur, courageux, on peut le comparer avec les meilleurs politiciens européens », affirme Bourgault au journal La Patrie en septembre 1967.

Le 12 décembre 1967, au sommet de son prestige, Aquin prend la parole devant 2000 militants indépendantistes du RIN rassemblés au Centre Paul-Sauvé. Il plaide pour l’union des forces indépendantistes. Il reste néanmoins plus proche de son ancien collègue René Lévesque que des rinistes, même s’il partage avec eux une certaine inclinaison vers la gauche. À la revue Socialisme, Aquin explique que la « réunification ne constitue pas exclusivement à rassembler tout le monde derrière le même chef. Elle comporte, dit-il, le respect démocratique des différentes tendances. […] Ainsi peut-on créer un parti structuré, possédant le pluralisme d’un front et projetant une image aussi diversifiée que sera celle d’un Québec libre ».

En 1967-1968, le nom d’Aquin est sur toutes les lèvres, du moins celles qui parlent de politique. On l’invite à prendre la parole partout. À Sept-Îles, le 9 décembre 1967, il annonce officiellement qu’il se joint au Mouvement souveraineté-association (MSA) de René Lévesque. Il dit : « Il n’y a qu’un homme qui peut prendre la direction du grand parti qui, demain, fera un Québec indépendant, un Québec renouvelé et fraternel, et cet homme c’est René Lévesque. »

Mais Aquin souhaite du même souffle que des négociations permettent d’unir au plus vite le RIN aux troupes de Lévesque. Ce que ne souhaite pas spécialement ce dernier, pour des raisons tant idéologiques que stratégiques et personnelles.

Auprès de Lévesque, Aquin va représenter l’aile gauche au sein de l’exécutif du MSA. En avril 1968, devant les 4500 personnes réunies à l’aréna Maurice-Richard autour de ces deux vedettes au congrès de fondation du MSA, les tensions se font vite sentir entre les deux hommes.

Très sensible à l’urgence de défendre le français au nom même de l’avenir de l’État qu’il aspire développer, Aquin se retrouve en opposition face à son ancien collègue libéral. Aquin soutient par exemple qu’il faudrait restreindre l’assistance sociale aux familles immigrantes qui refuseraient d’envoyer leurs enfants dans une école française, ce qui a l’heur de déplaire à Lévesque. Pour ce dernier, c’est là vouloir remplacer une injustice par une autre. La question de la langue d’enseignement dans les écoles bat alors son plein et s’avère extrêmement sensible. Et les divisions sont nombreuses sur cette question.

Cette opposition avec René Lévesque le conduit à quitter le MSA le 29 juillet 1968, tout en continuant de militer en faveur de l’indépendance du Québec. Ce jour-là, après 1 h 45 de discussions avec l’exécutif du MSA, il conclut que trop les sépare. La question linguistique d’abord, mais aussi la question internationale. Selon Le Devoir daté du lendemain, Aquin « voudrait une véritable « décolonisation » du Québec vis-à-vis des États-Unis ». En outre, affirme Le Devoir, il n’est pas du tout d’accord avec la façon dont le MSA conduit les négociations avec les autres groupes indépendantistes en vue d’une éventuelle union. Aquin n’en affirme pas moins qu’il va continuer de soutenir en chambre son collègue Lévesque, devenu tout comme lui un député indépendant et la cible d’attaques de la part de leurs anciens camarades libéraux.

Déçu, François Aquin démissionne de son poste de député le 20 novembre 1968. Il retourne à la pratique du droit puis à l’enseignement. Il sera appelé à jouer divers rôles de conseiller, tout en écrivant assez régulièrement sur des questions juridiques et occasionnellement sur des questions politiques.

Né à Ville-Émard le 6 mars 1926, fils d’un menuisier, François Aquin a mené ses études chez les jésuites, au Collège Ville-Marie. Il est d’abord tenté d’entrer dans cette compagnie mais sa foi vacille et il se dirige finalement vers l’étude du Droit. Après des études à l’université McGill, il est admis au barreau du Québec en 1956. Il exerce son métier d’avocat jusqu’en 2012. Il a aussi enseigné de 1969 à 1989 à l’Université de Montréal. François Aquin a notamment été formateur des juges de la Cour du Québec, de la Cour Supérieure et de la Cour d’appel lors de la réforme du Code civil en 1994. Il est décédé le 23 novembre à Laval.

 

 

 

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