Moteur ou remorque ?

Texte de Nestor Turcotte publié dans Vif=gile.net le 12 janvier 2012

Les Québécois sont sonnés. Les Québécois sont tannés. Les Québécois n’arrivent pas à se brancher.

À l’origine, le discours indépendantiste propulsait les gens vers l’avenir, vers un rêve, une conquête. L’indépendance était le moteur du véhicule qui, au départ, regroupait des gens venant de tous les horizons et qui prenaient plaisir à cohabiter en vue de la création d’un authentique chez soi. La coalition de 1968 était inspirante. C’est en quittant la « maison de fous » qu’était le Canada fédératif que le Québec deviendrait maître chez lui. L’indépendance était la solution. Non pas une solution parmi tant d’autres. L’indépendance était le moteur qui devait conduire les Québécois vers leur émancipation et leur donner enfin une pleine et entière possession de tous leurs moyens. Sans le moteur de l’indépendance, la voiture n’avançait pas, ou, si elle avançait, elle allait se ramasser carrément dans le champ. Tous les ténors de l’indépendance ont tenu ce discours rassembleur, unificateur, prometteur. Ils ne le tiennent plus. Ils ont perdu la foi.

Ce type de discours est mort depuis le référendum de 1995. Les indépendantistes – lire : les péquistes et les défunts bloquistes – ne parlent plus de l’indépendance du Québec. Ils parlent de gouvernance souverainiste, d’un référendum hypothétique, d’une date à déterminer, d’un échéancier à long terme. L’indépendance du Québec n’est plus le moteur de leur action. Elle est devenue la remorque qui, clopin-clopant, aboutée à un vieux char usé, poqué, mal entretenu, n’inspire plus aucun voyageur. L’indépendance est devenue le boulet qui empêche d’innover, de créer de l’enthousiasme parmi les troupes décimées. Le vieux nationalisme de la défunte Union nationale reprend du poil de la bête. À défaut d’un vecteur bien ciblé, on se contente du mythe de l’éternel retour.

Dans l’auto qui traîne les rescapés de l’aventure, les uns restent cois devant le constat de l’échec, d’autres, rêvent à mots couverts, d’un souffle nouveau venant de l’Ouest, pour ranimer une flamme qui vacille au gré des démissions en séries.

Les Québécois sont sonnés. Les Québécois sont tannés. Les Québécois n’arrivent pas à se brancher. Entre la remorque de plus en plus lourde à porter et le moteur qui a sans cesse des ratés, ils hésitent, vacillent, se dispersent. Les opportunistes se cherchent une niche, un emploi, pour poursuivre une carrière morcelée, désorientée, sans épine dorsale.

Visiblement, il n’y a plus d’espoir en cette voiture amochée, qui, au lieu de concrétiser le rêve espéré ne fait qu’enfanter le rêve éclipsé. Le Québec attend. Il n’espère même plus. Il craint. Il se résigne.

Quand un peuple accepte ainsi le sentier du défaitisme et de l’assimilation à petit feu, c’est qu’il n’est pas « quelque chose comme un grand peuple ». À moins que naisse ou dorme en ses murs un cœur libéré qui ferait éclater les peurs et les hésitations qui somnolent au sein de la majorité, le Québec périra dans l’histoire. Il sera un des rares peuples, majoritairement inscrit dans le déroulement des événements humains, qui aura accepté de mourir sans lever le petit doigt. Le colonialisme a sans doute ses limites. Il semble qu’en terre laurentienne, il est capable de se dépasser et de creuser la tombe d’une nation qui ne sait plus porter son destin.

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