Pans d’histoire acadienne sur une île dans la mer Rouge

par David Le Gallant, de Mont-Carmel (Î.-P.-É.) | Le Patriote

acadie1

Deuxième Partie :
Régimes français et britannique

La première partie a paru dans l’édition précédente du Patriote

N. B. : Jusqu’à vers 1780, le beau nom de la « mer Rouge » ou « Red Sea » était connu et utilisé par tous, Acadiens, Français et Anglais. (1) Mais comme les Anglais ont substitué les anciens noms de lieux amérindiens ou français par des désignations anglo-saxonnes, la mer Rouge subira le même sort. Pourtant c’est sous la désignation Mer Rouge Un lien qui nous rassemble que le prochain Congrès mondial acadien en 2019 a jeté son dévolu. À savoir si les dirigeants de ce Congrès mondial l’utiliseront à titre d’élément éducatif de « corridor géopolitique de la déportation des Acadiens de l’île Saint-Jean » ?

Une renaissance mitigée des Acadiens de l’Île-du-Prince-Édouard a peut-être eu ses débuts lorsque la colonie de l’Île-du Prince-Édouard a accordé en 1786 aux catholiques le droit de posséder une propriété et en 1830, le droit de vote et le droit de siéger à la législature. Les Acadiens de l’Île avaient élu en 1854 leur premier député colonial, Stanislaus F. Poirier, suivi de Fidèle Gaudet et de Joseph-Octave Arsenault. Nos députés acadiens coloniaux s’opposaient farouchement à l’adhésion de l’Île au Canada en 1873; d’ailleurs, la délégation insulaire à la Conférence de Charlottetown de 1864, dirigée par le colonel Gay, avait complètement oublié les Acadiens; pas un seul Acadien y était ! (2) Stanislaus F. Poirier, étant alors orateur de la législature, est celui qui a signé la pétition demandant à la reine Victoria de faire de l’Îledu- Prince-Édouard une province canadienne. En 1874, il devient le tout premier député acadien à siéger au Parlement canadien, tandis que Joseph-Octave Arsenault deviendra en 1895 le premier Acadien de l’Île à siéger au Sénat. Sur la scène provinciale, les Acadiens auront jusqu’aujourd’hui un des leurs comme premier ministre et trois des leurs comme lieutenants-gouverneurs.

Au cours du demi-siècle qui suit la Déportation, les membres du clergé sont à peu près les seuls à pourvoir à l’éducation des Acadiens de l’Île. En 1828, les Acadiens obtiennent leur premier prêtre acadien; plusieurs couvents d’enseignement sont érigés grâce à la Congrégation de Notre-Dame. La première école acadienne ouvre ses portes en 1815 à Rustico et, en 1893, L’Impartial, devient le premier journal de langue française de l’Île. Les écoles acadiennes seront seulement promues au rang d’écoles de première classe lorsque l’enseignant est jugé compétent à bien enseigner la langue anglaise et qu’un nombre important de ses élèves l’étudient. (3) Avec le temps, les Acadiens perdent tout contrôle effectif de leur éducation; le gouvernement anglicise spécifiquement le programme d’études des écoles dites acadiennes en exigeant que les enseignants obtiennent leur brevet d’enseignement en anglais. Au point de vue culturel et éducatif, on fonde en 1893 « L’Association des instituteurs acadiens de l’Île-du-Prince-Édouard », qui fondera en 1919 l’organisme porte-parole provincial acadien, la Société Saint-Thomas d’Aquin. Comme l’est confirmé dans l’Histoire de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, (4) J. Henri Blanchard est le chef de file acadien qui décrit et agit pour endiguer la précarité de la vie française et de l’éducation à l’Île. L’un des fondateurs en 1937 du Conseil de la Vie française, dont il demeura membre jusqu’à son décès, J. Henri Blanchard avait frappé aux portes des maisons d’enseignement du Québec et avait réussi à décrocher des bourses des institutions québécoises qui ne purent résister à sa personnalité engageante. L’on disait qu’il avait opéré des merveilles à l’extérieur au profit de la gent acadienne de sa province. Suite à l’oeuvre du professeur Blanchard auprès de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, celle-ci avait spécifiquement adopté le « petit peuple de l’Île-du-PrinceÉdouard » comme un fils de prédilection. Quant au professeur Blanchard, on l’a appelé « un homme de la renaissance. » (5)

J. Henri Blanchard
J. Henri Blanchard

Au point de vue de la « nation acadienne », il est bon de savoir que c’est à l’Île-du-PrinceÉdouard que tous sauf un des symboles nationaux acadiens actuels ont été adoptés jusqu’alors. Cela eut lieu à Miscouche le 15 août 1884, alors que le drapeau, l’hymne, la devise et l’insigne nationaux furent adoptés par les délégués acadiens à leur Deuxième Convention nationale. Le seul symbole non adopté à l’île fut la fête nationale du 15 Août, qui le fut lors de la Première Convention nationale des Acadiens, à Memramcook, en 1881. En parlant des symboles nationaux acadiens adoptés à Miscouche, le drapeau des Acadiens appelé « le Tricolore étoilé »(6) est certes le plus puissant de ces symboles. Il était de mise qu’à l’occasion de son centenaire en 1984, qui fut particulièrement marqué à l’Île-du-Prince-Édouard, eut lieu la visite officielle de René Lévesque, premier ministre du Québec, à Mont-Carmel, dans cette région appelée Évangéline où est née l’artiste Angèle Arsenault. Voici une photo souvenir de cette visite inoubliable du premier ministre du Québec, le 19 août 1984. Ses mots retentissent encore aujourd’hui et sont toujours à l’ordre du jour depuis 30 ans : de grâce, ne lâchez jamais, lâchez pas, comme on dit chez nous. (7)

Cependant, plusieurs Acadiens de partout ignorent trois choses à propos des symboles acadiens. La première chose c’est que les armoiries de la Société nationale de l’Acadie furent déposées le 31 août 1996, à la vue de tous, au Musée acadien de l’Île-du-Prince-Édouard, à Miscouche. Ces armoiries incorporaient la devise et l’insigne acadiens, adoptés à Miscouche.

La deuxième, c’est que le tout premier salut d’une nation au drapeau national de l’Acadie eut lieu dans la rade de Summerside. Tout cela a été repris dans le cinquième des six tableaux des Grandes Heures du peuple acadien par l’artiste-peintre Claude Picard (8), tableaux qui se trouvent tous au Musée acadien de l’Île-du-Prince-Édouard. Samedi après-midi, le 16 août 1884, grâce à l’obligeance du capitaine Evans (d’origine galloise) du traversier St. Lawrence, qui ramenait la plupart des excursionnistes de Summerside, Î.-P.-É. à la Pointedu- Chêne, N.-B., les délégués de la Deuxième Convention nationale des Acadiens ont eu le bonheur de voir flotter sur le vapeur leur nouveau drapeau national, vieux d’un jour, bien qu’à l’ombre de l’Union Jack. Cette obligeance déclencha le tout premier salut d’une nation étrangère envers le drapeau acadien, alors qu’un navire détaché de la flotte britannique, mouillé à quelques encablures du quai de Summerside, mit ses couleurs au vent, croyant saluer le drapeau de la France. Or ce n’était pas le drapeau de la France que l’Angleterre saluait, mais bel et bien le drapeau de ce peuple acadien qu’elle avait déporté 129 ans auparavant. Cette traversée du port de Summerside à Ponte-du-Chêne marqua aussi la première fois « sur mer » que l’on hissa le drapeau national de l’Acadie et que l’on y chanta l’Ave Maris Stella en tant que « air national acadien ». Ce tableau se nomme pertinemment « Ironie de l’histoire ». (9)

etoile de mer

La troisième chose c’est qu’il y a une autre candidate à la symbolique acadienne, communément appelée « la chouette acadienne » ou « the Acadian owl » (voir Google). Son nom scientifique latin Aegolius acadicus a été uniformisé comme la « Petite Nyctale » par la Commission internationale des noms français des oiseaux. La candidature de la chouette acadienne a commencé par un article de Pierre Duguay dans l’Acadie Nouvelle du 3 janvier 2003. À l’appel de Pierre Duguay pour qu’on en fasse le symbole national aviaire de l’Acadie, l’Association du Musée acadien de l’Î.-P.-É. emboîte le pas pour son prix annuel pour la cause acadienne, qui désormais sera appelé le Prix la-Petite-Nyctale. La Société internationale Veritas Acadie l’a adoptée pour sa figure emblématique et veut mettre en place un mouvement pour sensibiliser le public à cette candidature idéale. (10)

C’est comme si on nous interdisait de dire que, jusqu’à récemment, la minorité officielle de langue française à l’Île-du-Prince-Édouard était celle dont le taux d’assimilation était le plus élevé au pays. Malgré cela, elle s’est démarquée en l’an 2000 par sa victoire retentissante à la Cour suprême du Canada, victoire qui allait avoir un impact à l’échelle du pays. La cause Arsenault-Cameron est maintenant citée chaque fois que des francophones en milieu minoritaire tentent d’obtenir des écoles de leur gouvernement. Malgré cela il y a, à l’Île, un laxisme acadien en matière d’affirmation identitaire et une collusion politique partisane de certains chefs de file clés qui font que tous les secteurs de l’action nationale acadienne stagnent.

C’est comme si on avait pris au mot ce que le lieutenant-gouverneur Herménégilde Chiasson avait écrit: Personne ne fit état de notre combat, du fait que si nous étions là, que nous étions toujours francophones et Acadiens de surcroît… Depuis quand devenons-nous être des « Acadiens de surcroît » ? C’est une attitude dénaturée qui explique le laxisme de beaucoup d’Acadiens et pas seulement à l’Île-du-Prince-Édouard. Ce n’était pas cette attitude qu’avait le professeur J. Henri Blanchard devant le laxisme des Acadiens de son époque. On croirait que pour tout Acadien qui se respecte, après tout ce que nous avons et continuons de subir, le cri du coeur serait plutôt : « toujours Acadiens et francophones de surcroît » !

_________________________

1- Devenue le détroit de Northumberland, vers les années 1780, qui sépare l’actuel Île-du-PrinceÉdouard du continent au Nouveau-Brunswick. Voir Veritas Acadie no 3 (automne 2014), Société internationale Veritas Acadie, p. 9-11 et La Petite Souvenance, no 16, Société historique Soeur- Antoinette-DesRoches, Miscouche, Î.-P.-É, p.25-39.
2- Robert Rumilly, Histoire des Acadiens II, p. 732-739, repris dans Veritas Acadie 3, p. 91.
3- Georges Arsenault, Les Acadiens de l’Île / 720-1980, Éditions d’Acadie, 1987, p. 87
4- Robert Rumilly, Histoire de la Société Saint-Jean-Baptiste, l’Aurore, Montréal, 1975, p. 533-536.
5- « À l’occasion du 125e anniversaire de naissance de J. Henri Blanchard 1881-2006 », La Petite Souvenance, no 20, Société historique Soeur-Antoinette-DesRoches, octobre 2006, 44 pages, p.11-12.
6- Pour faire pendant aux fleudelisé québécois et unifolié canadien.
7- Puisés dans son discours adressé aux Acadiens à Mont-Carmel. Î.-P.-É., le 19 août 1984; il trépassa l’année suivante. Photo : Collection privée.
8- L’artiste-peintre Claude Picard dont le sujet est le premier salut d’une autre nation à notre drapeau
national acadien, qui constitue une grande ironie en soi.
9- Cette description se trouve, entre autres, aux pages 2 à 7 du bulletin L’AARQ-EN-CIEL de l’Association acadienne de la région de Québec grâce à la collaboration de Jacques Gaudet : www.aarq. ca.tc. Le récit de cet événement provient des Mémoires de Pascal Poirier, premier sénateur acadien.
10- Voir à la page 12 de Veritas Acadie 3 (automne 2014).