Le créateur du ministère de l’Éducation du Québec n’est plus. Paul Gérin-Lajoie s’est éteint. Il était âgé de 98 ans.
Ministre de l’Éducation dans le gouvernement libéral de Jean Lesage de 1964 à 1966, il fut l’un des plus grands artisans des transformations apportées au système d’éducation québécois. Il est également le père de la doctrine Gérin-Lajoie, pierre angulaire des relations internationales du Québec.
Paul Gérin-Lajoie est né à Montréal le 23 février 1920. Après des études à Montréal et à l’Université d’Oxford, en Angleterre, il est admis au Barreau du Québec en 1943. Déjà, à l’époque, il exprime sa ferme volonté de lutter en faveur de la démocratisation de l’enseignement.
Secrétaire, puis président de la commission politique du Parti libéral du Québec, il est candidat et défait deux fois dans la circonscription de Vaudreuil-Soulanges. En mai 1958, il tente sa chance dans la course à la direction du PLQ, mais il s’incline devant celui qui allait devenir maître d’oeuvre des changements majeurs à venir au Québec : Jean Lesage.
Paul Gérin-Lajoie fait finalement son entrée à l’Assemblée législative, comme député de la circonscription de Vaudreuil-Soulanges, aux élections de juin 1960, qui confirment le Parti libéral au pouvoir. Malgré son air austère, il devient tout de suite l’homme de confiance du premier ministre Lesage pour enclencher la réforme scolaire. Il est nommé ministre de la Jeunesse.
Un ministre idéaliste et proactif
À l’époque, plus de la moitié des adultes du Québec ne sont pas allés plus loin que la 6e année à l’école. Il entreprend d’élargir et, surtout, de démocratiser l’enseignement dans la province. Il crée sur-le-champ la commission Parent. Le but est d’établir un véritable ministère de l’Éducation et de rapatrier le plus rapidement possible toutes les responsabilités en matière d’enseignement.
Sa fougue et ses visées choqueront dans plusieurs milieux influents du Québec. Mais Paul Gérin-Lajoie s’est fixé un objectif et rien ne l’en détournera : quatre ans après son élection, son rêve de créer le ministère de l’Éducation se réalise.
S’enclenche alors une petite révolution : il abolit les collèges classiques, qui n’étaient accessibles qu’à une élite, et instaure un système d’éducation public et gratuit. C’est la naissance un peu partout au Québec de la maternelle, des polyvalentes et, plus tard, des cégeps. Dorénavant, l’éducation est obligatoire jusqu’à 16 ans et un système de prêts et bourses est mis sur pied pour les études supérieures.
La doctrine Gérin-Lajoie
En février 1965, Paul Gérin-Lajoie signe à Paris un accord ambitieux de coopération avec la France dans le domaine de l’éducation. L’événement est considérable, puisque c’est la première fois que le Québec signe une entente internationale.
Le mot « entente » est utilisé pour désigner l’accord afin de ne pas froisser le gouvernement canadien, qui voit d’un mauvais oeil le désir du Québec de devenir un acteur sur la scène internationale.
Le 12 avril de la même année, dans une allocution devant le corps consulaire de Montréal, Paul Gérin-Lajoie annonce la volonté du Québec d’être un acteur international dans ses domaines de compétence constitutionnelle. Ce discours exprime « la doctrine Gérin-Lajoie », selon laquelle la province peut signer des ententes avec des pays souverains dans des matières touchant ses champs de compétence.
La déclaration du ministre québécois de l’Éducation pousse Ottawa à accroître ses liens culturels avec les pays francophones et à conclure un accord-cadre avec la France en novembre 1965.
Le père Ambroise Lafortune discute avec le député libéral de Vaudreuil-Soulanges, Paul Gérin-Lajoie, en 1966.
Après l’éducation, l’aide au développement
Relégué dans l’opposition en 1966, Paul Gérin-Lajoie y reste jusqu’en 1969. Après sa retraite politique, il préside l’Agence canadienne de développement international (ACDI) de 1970 à 1977. Sous sa gouverne, le budget de l’organisme triple pour atteindre 1 milliard de dollars. Des milliers d’initiatives à l’étranger voient le jour.
Lors de ses voyages, il constate que bien des couches de la population n’ont pas accès à l’éducation, malgré les programmes d’aide. L’idée de la Fondation Paul Gérin-Lajoie lui vient alors en tête pour tenter de changer les choses. Après un passage dans le secteur privé, il s’y consacre corps et âme à partir de 1986.
En 1991, alors qu’il est âgé de 70 ans, le père de l’école québécoise moderne offre un dernier legs à ses milliers d’enfants : il crée la dictée PGL, qui marie ses deux grandes passions, soit l’éducation et l’aide internationale.
Paul Gérin-Lajoie n’aura jamais cessé de s’impliquer auprès de la jeunesse d’ici et des pays en voie de développement. Aujourd’hui, une école, une fondation et une dictée portent son nom. Quant à sa doctrine, elle constitue toujours la pierre angulaire des relations internationales du Québec.
Les réactions politiques affluent
Sur Twitter, le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, a rapidement offert ses condoléances à la famille.
« Un personnage d’envergure historique nous quitte aujourd’hui. Le Québec de 2018 doit beaucoup à Paul Gérin-Lajoie, il aura marqué son époque et notre histoire », a-t-il écrit. Il a précisé un peu plus tard que M. Gérin-Lajoie aura des funérailles nationales et que le drapeau de l’Assemblée nationale est mis en berne aujourd’hui et le sera de nouveau lors des funérailles nationales (la date reste à déterminer).
De son côté, la ministre de l’Enseignement supérieur, Hélène David, en entrevue à RDI, a parlé d’un « très, très grand Québécois ».
« Je pense que vous n’exagérez pas du tout quand vous parlez d’un géant du 20e siècle. Un géant du Québec et un géant à l’international. Il a tellement fait pour l’éducation. Pas seulement au Québec, mais aussi en Afrique de l’Ouest, au Sénégal, en Haïti, à travers sa fondation », a-t-elle rappelé.
« J’ai été à même, encore tout récemment, de constater sa détermination, son engagement indéfectible envers l’éducation. […] Il a eu une très longue vie, mais il avait une jeunesse d’esprit, une réflexion continue sur les questions actuelles de l’éducation », a-t-elle poursuivi.
Pour le chef du Parti québécois, Jean-François Lisée, Paul Gérin-Lajoie était un « modèle ».
« Avec audace, énergie et talent, Paul Gérin-Lajoie a guidé le Québec moderne sur les chemins de l’éducation, de la culture, de la valorisation du français, des relations et de la solidarité internationales. Un grand homme. Un bâtisseur d’État. Un humaniste », a-t-il affirmé sur Twitter.
Quant à la vice-chef du Parti québécois, Véronique Hivon, elle a remercié M. Gérin-Lajoie sur Twitter pour tout ce qu’il a accompli.
« Merci Paul Gérin-Lajoie, grand homme politique, père de l’éducation démocratisée et accessible. Le plus grand hommage que nous pourrions vous rendre, c’est que le Québec tout entier fasse réellement de l’éducation sa priorité nationale », a-t-elle écrit.
De son côté, le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, a qualifié Paul Gérin-Lajoie de visionnaire.
« C’est quelqu’un qui était passionné d’éducation. Donc quand on le rencontrait, il nous disait et il nous répétait que ce qui était le plus important pour l’avenir de notre société, c’était l’éducation. C’était un homme passionné, un homme de coeur et un homme qui voyait le Québec grand dans le monde », a-t-il déclaré en entrevue à RDI.
Pour sa part, la ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, a mentionné sur Twitter qu’« un des fondateurs du Québec moderne, pilier de la Révolution tranquille et père du système d’éducation québécois vient de nous quitter. Paul Gérin-Lajoie, votre legs sera transmis de génération en génération. Merci pour votre engagement auprès du public. »