Pour en finir avec la surenchère de l’enseignement de l’anglais

Texte cosigné avec Denis Trudel, porte-parole du Mouvement Montréal français
Après l’introduction de l’enseignement de l’anglais en première année du primaire, après l’imposition par bâillon de la loi permettant aux riches d’acheter le droit d’envoyer leurs enfants à l’école anglaise, le premier ministre libéral veut maintenant imposer que la moitié de la sixième année au primaire soit uniquement consacrée à l’enseignement de l’anglais.

Pourtant, l’enseignement de l’anglais au Québec a fait des progrès remarquables. Selon Statistique Canada, 85% des jeunes francophones au Québec ont évalué leur aptitude en anglais comme étant de passable à excellente. À l’extérieur du Québec, cette proportion est de 28% pour l’aptitude en français chez les jeunes non-francophones. Dans l’ensemble de la population québécoise, le bilinguisme a augmenté de 10% chez les francophones en 25 ans. Le Québec présente le plus haut taux de bilinguisme au Canada, sinon au monde. Que faut-il de plus pour satisfaire l’appétit insatiable et croissant de ce gouvernement pour l’anglais ?

En outre, plusieurs intervenants du milieu de l’éducation considèrent qu’imposer la moitié de la 6e année avec des cours d’anglais est à la fois difficilement réalisable, compte tenu des effectifs d’enseignants, et que son caractère obligatoire risque en plus d’être contre-productif. Dans les écoles qui offrent déjà le programme d’anglais intensif, on a conclu que seuls les élèves n’ayant aucun retard scolaire pouvaient le suivre. «Dans les groupes d’anglais intensif, on apprend l’anglais la moitié de l’année, et on enseigne les autres matières le reste de l’année. Les élèves en difficulté seront incapables d’apprendre toute la matière en une demi-année. Pour eux, l’annonce du gouvernement est vraiment une mauvaise idée», a déclaré la présidente de la Fédération québécoise des directions d’établissements d’enseignement. De son côté, la présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement rapporte que les enseignants qui doivent donner la matière de base en une demi-année ont de la difficulté à couvrir l’ensemble du programme.

Le gouvernement Charest qui est prompt à dénoncer l’idée d’obligation lorsqu’on propose d’étendre les dispositions de la loi 101 au cégep, ne semble pas voir de contradiction de principe dans l’aspect obligatoire qu’il veut imposer à l’ensemble de la société québécoise. Il y a déjà beaucoup plus de Québécois bilingues que le nombre d’emplois nécessitant la connaissance de l’anglais. Pour des raisons économiques, il serait plus avantageux tant qu’à faire de donner le choix aux écoliers d’apprendre d’autres langues, comme l’espagnol qui est parlé par 300 millions d’individus en Amérique, ou le mandarin qui est parlé par plus d’un milliard de personnes. La connaissance de plusieurs langues constitue certes un enrichissement individuel, mais ne doit pas devenir un vecteur d’assimilation.

La mesure proposée par les libéraux sent l’improvisation et l’électoralisme. De plus, cette annonce survient alors que le français est en déclin rapide à Montréal (42% en 2051) et à moyen terme dans l’ensemble du Québec (72% en 2051), selon les prévisions du président du Comité de suivi de la situation linguistique à l’Office québécois de la langue française (OQLF). Selon lui, à part une diminution de l’immigration, seul un aménagement linguistique fondé sur les droits linguistiques collectifs et territoriaux permettrait d’assurer que le français soit la langue d’intégration et la langue commune au Québec. Le français n’est toujours pas la langue commune des milieux de travail au Québec. Moins de la moitié des allophones travaillent en français. Les entreprises exigent de plus en plus la connaissance de l’anglais de façon injustifiée, même pour des emplois en régions entièrement francophones. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que des parents francophones soient catastrophés à l’idée que leurs enfants ne soient pas suffisamment bilingues à la sortie du secondaire.

Alors que le taux de diplomation des francophones à tous les niveaux d’études est inquiétant, les libéraux n’ont rien de plus intelligent à proposer que plus d’anglais et du tape-à-l’oeil avec l’achat de tableaux interactifs dans toutes les classes. Nous pensons qu’il vaudrait mieux renforcer l’enseignement des matières de base et prendre les mesures qui s’imposent afin de contrer le décrochage scolaire.

On oublie qu’un des principaux objectifs de la loi 101 était de franciser l’économie pour améliorer les perspectives économiques des francophones. Or, cet objectif essentiel n’est toujours pas atteint. Le revenu annuel moyen des anglophones est de 4 000$ supérieur à celui des francophones. En laissant les milieux de travail au Québec s’angliciser, on favorise la concentration de toutes les ressources à Montréal. Par ailleurs, le surfinancement des institutions collégiales et universitaires anglophones favorise l’exode et l’anglicisation d’une partie importante de la main-d’oeuvre hautement spécialisée qui pourrait apporter une contribution importante aux régions du Québec. Par exemple, on est en train de construire au coût de plus de 2 milliards un mégahôpital universitaire anglophone qui forme principalement des médecins pour le reste du Canada et les États-Unis, alors qu’on devrait plutôt décentraliser la formation universitaire afin de contrer la grave pénurie de médecins dans les régions du Québec.

Si un sérieux coup de barre n’est pas donné pour renforcer le français au Québec, nous nous retrouverons devant un choix de plus en plus difficile et incontournable: s’angliciser ou redevenir des porteurs d’eau.

Mario Beaulieu
Président de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal

Denis Trudel
Porte-parole du Mouvement Montréal français

Voir sur le site de Statistique Canada

«On a aussi demandé aux jeunes d’évaluer leur aptitude à parler anglais ou français. À l’extérieur du Québec, 28 % des non-francophones ont évalué leur aptitude en français comme étant de passable à excellente. Au Québec, ce taux était considérablement plus élevé : 85 % des jeunes francophones ont évalué leur aptitude en anglais comme étant de passable à excellente.»