Simon-Pierre Savard-Tremblay | Journal de Montréal
Le 11 mars prochain marquera le vingtième anniversaire du décès d’un personnage marquant de notre histoire : le docteur Camille Laurin. Pour l’occasion, je propose que la circonscription de Bourget soit renommée Camille-Laurin.
Le comté de Bourget a été représenté par le docteur Laurin de 1970 à 1973, de 1976 à 1985, puis de 1994 à 1998. De prétendre qu’il fut une figure importante pour la circonscription relève de l’euphémisme.
Il fut cependant surtout de la génération des grands, de ceux qui ont construit le Québec dans lequel nous vivons. Il est actuellement inacceptable qu’il n’y ait aucune circonscription à son nom.
La loi 101, évidemment
Camille Laurin trouve sa place dans la mémoire collective en tant qu’artisan de la Charte de la langue française. Cet héritage est majeur, et représente probablement la politique la plus imposante de l’histoire du Québec moderne. Il dut faire des pieds et des mains pour vaincre les adversaires internes et externes à la loi 101. Devant affronter tout autant son propre premier ministre que des adversaires farouches dans la société civile, il a fini pour y parvenir.
La loi 101 a transformé en profondeur le visage du Québec. Contrairement à ce qu’on a aujourd’hui tendance à affirmer, elle n’était pas qu’une réforme administrative visant l’obtention de services en français. Touchant tout autant à l’État, au travail, au commerce et à l’éducation, elle était une véritable politique de décolonisation et de reconquête. Lors de l’adoption de la Charte, en 1977, Camille Laurin la posait comme un jalon central à la repossession, par les Québécois, de leur nation, s’inscrivant naturellement dans la marche vers l’indépendance.
Dieu seul sait où nous en serions, collectivement, sans l’adoption de cette loi à l’importance névralgique, malheureusement aujourd’hui édentée.
La Charte de la langue française justifierait en soi que Camille Laurin dispose d’une circonscription à son nom. La contribution lauriniste au Québec est cependant loin de s’y limiter.
Le bâtisseur
Laurin a d’abord été un brillant intellectuel. Ses œuvres, malheureusement difficilement à trouver aujourd’hui, conjuguent avec brio modernisation et conservation, anticolonialisme, indépendantisme, justice et solidarité sociale. Laurin appartenait à une catégorie d’hommes politiques de grande envergure, dotés d’une vision à long terme et d’un remarquable sens de l’État et des responsabilités qui s’y rattachent.
Laurin fut aussi l’un des principaux artisans de la modernisation de la psychiatrie au Québec. Rédacteur de la préface de l’ouvrage Les fous crient au secours! de Jean-Charles Pagé, Laurin avait prévu que la sortie de ce livre (qui se voulait le témoignage d’un alcoolique qu’on croyait mentalement malade) allait faire grand bruit, et avait prévu une stratégie pour faire accepter par les pouvoirs religieux l’éventuel virage dans l’approche psychiatrique, traitant le patient comme un être humain à soigner et non comme un « fou » à isoler.
Dans la même veine, Camille Laurin avait prêté main-forte à Guy Bertrand, alors jeune avocat, dans le cadre du procès de Léopold Dion, criminel sexuel et tueur en série, contribuant à démontrer qu’il était atteint de maladies mentales et le sauvant de la peine capitale. Laurin, qui a été formé en psychiatrie à Boston et en psychanalyse (une discipline fascinante inutilement conspuée) à Paris, aura ainsi grandement contribué à accroître notre compréhension de l’enjeu de la santé mentale.
Là ne s’arrêtent pas les combats du docteur Laurin.
On n’a qu’à penser à la Politique québécoise de développement culturel, qu’il avait en tant que ministre confié à Fernand Dumont et à Guy Rocher, son ex-collègue du Collège de l’Assomption et des Jeunesses étudiantes catholiques. La lecture des deux livres bleus nous fournirait aujourd’hui, alors que le débat identitaire fait rage et est traité sur des bases erronées, des clés pour sortir de l’impasse, prônant le concept de convergence culturelle, ne faisant donc pas disparaître les différences, mais renforçant les référents communs qui nous unissent, en tant que nation.
Laurin fut aussi à l’origine d’une ambitieuse politique de développement technologique et scientifique, d’une tentative de réforme du système d’éducation.
Pour finir, Laurin a été un indépendantiste clair, ferme et tranché, ayant démissionné avec certains collègues (dont Jacques Parizeau) du gouvernement de René Lévesque lorsque celui-ci voulait mettre au rencart l’option fondamentale du Parti québécois. Son indépendantisme relevait d’une logique quasi mathématique, s’appuyant sur la raison. Nul besoin d’être favorable au projet d’indépendance pour reconnaître que ce dernier a structuré la politique québécoise depuis 50 ans, et que Camille Laurin en fut un des porte-étendards les plus crédibles.
Comment procéder
Selon le Directeur général des élections du Québec, on ne peut changer le nom d’une circonscription qu’en cas de modification de ses frontières. Il existe cependant certains cas d’exception, comme celui du comté de Crémazie, renommé « Maurice-Richard » sans redécoupage avant le dernier scrutin. Il y avait certes, au même moment, une refonte de la carte électorale, mais le comté en question n’était pas touché par elle. Il serait donc tout à fait possible que l’Assemblée nationale vote une motion favorable au changement de nom de la circonscription de Bourget et exige du DGEQ qu’il se prononce sur la question.
Les députés ne siégeront malheureusement pas le 11 mars prochain, jour de l’anniversaire du décès de Camille Laurin, mais retrouveront le Salon bleu le 19. Il ne serait pas trop tard. Si vous en avez l’occasion, pourquoi ne pas écrire à vos élus pour leur proposer la chose? Il faudrait peut-être aussi envisager de créer une pétition parlementaire pour en faire la demande.
Pour le 20e anniversaire du décès de ce géant de notre histoire, ce serait une belle façon de dire : merci docteur Laurin!