Frédéric Lacroix | L’Aut’Journal
Le journal The Gazette nous apprenait cette semaine que tous les chefs de parti politique du Québec avaient donné leur accord pour participer à un débat des chefs en anglais, ce qui est une première dans l’histoire québécoise. The Gazette ajoutait que Jean-François Lisée avait été le premier à répondre « yes » et avait incité les autres partis à faire de même.
Comment dire? Vivre au Québec ces années-ci, c’est vivre un très long, un interminable rendez-vous chez le dentiste.
On se souviendra que M. Legault avait torpillé la « nouvelle loi 101 » de Mme Marois en 2013. Aucune surprise donc à le voir accepter de débattre en anglais. On s’étonne cependant de l’enthousiasme du chef des indépendantistes.
Mais on s’étonne à vrai dire à moitié car il faut donner cela à Jean-François Lisée, il est conséquent dans ses positions sur la langue. Ses multiples interventions sur le sujet au fil du temps – partant toujours de l’idée que lui, Jean-François Lisée comprenait tout du dossier de la langue et que tous les contradicteurs se trompaient- n’ont cessé de semer la confusion, la stupéfaction, voire la consternation dans les rangs souverainistes.
Ses propositions portant sur la langue faites en marge du congrès du PQ de septembre 2017 –appelant largement à un élargissement de la présence de l’anglais dans le système scolaire et dans la vie publique québécoise- étaient inquiétantes au plus haut point. Son intention d’angliciser les cégeps francophones, entre autres, signifierait simplement l’écroulement de l’éducation supérieure en français au Québec.
Son enthousiasme à débattre en anglais est de la même eau. Pour un illusoire gain tactique à court terme (faire mal paraître M. Legault et Mme Massé) M. Lisée a balancé par-dessus bord la notion de « langue commune ». La notion de « langue commune », fondement conceptuel de la loi 101, n’a plus de sens si le processus démocratique se tient en bilingue « pour rejoindre les allophones et anglophones ».
Mais soyons justes. M. Lisée a éjecté il y a belle lurette le concept de « langue commune » pour le remplacer par celui de « langue prédominante », un concept qui a été inventé par la Supreme Court of Canada et qui a été utilisé pour faire sauter des pans entiers de la loi 101. M. Lisée a structuré l’essentiel de sa pensée sur la question linguistique à l’aide d’un concept inventé par Ottawa pour invalider les lois linguistiques québécoises. Ça, ça ne s’invente pas…
Mais en quoi le français sera-t-il encore « prédominant » (un concept fumeux et exaspérant s’il en est un) s’il y deux débats, un en anglais et l’autre en français? Peut-on considérer que le français sera « prédominant » s’il y a deux débats en français et un débat en anglais? Ou bien M. Lisée parlera-t-il plus fort lors du débat en français pour assurer la « prédominance »? Voilà le genre de marécage dans lequel la « prédominance » nous fourvoie.
M. Lisée a été qualifié de « tacticien du quotidien » par le PLQ. Je dois dire que je suis assez d’accord avec cette caractérisation dans le cas précis du dossier linguistique. Rappelons que la tactique « concerne des objectifs à court terme tels que la victoire lors d’une bataille », alors que la stratégie « concerne des objectifs à moyen ou à long terme tels que la victoire lors d’une guerre ou une politique diplomatique particulière ». En acceptant le débat en anglais, M. Lisée a voulu faire un gain tactique, mais il a fait une erreur stratégique. Il a accepté de fragiliser encore un peu plus le statut maintenant chambranlant du français au Québec. Le Québec s’enfonce de plus en plus dans un bilinguisme systématique qui sera à terme (qui est déjà!) délétère pour le français.
Pensons un peu plus loin que le bout de notre nez aux conséquences de cette erreur stratégique. Par exemple, comme M. Lisée est d’accord pour bilinguiser ainsi un moment clé du processus démocratique, est-il aussi d’accord pour bilinguiser le processus législatif, comme l’exige le Barreau avec sa requête pour faire invalider l’ensemble des lois québécoise car votées en français seulement? M. Lisée (et tous les autres chefs de parti, soyons justes) viennent-ils de fournir un précieux argument pour venir renforcer la légitimité de la requête du Barreau? Logiquement, on peut penser que oui.