Projet de loi 99 selon Jacques Parizeau

Vigile.quebec

 

 

Projet de loi 99

Débats de la Commission des institutions

mercredi 9 février 2000
 
parizeau-autre-800x450

(…)

Le Président (M. Bertrand, Portneuf) : Adopté. Nous en venons donc à l’audition. J’aimerais, au nom des membres de la commission, souhaiter la bienvenue à M. Jacques Parizeau, nous rappeler simplement qu’une heure est consacrée au présent exercice.

M. Parizeau, vous aurez une vingtaine de minutes pour la présentation proprement dite, après quoi, nous passerons aux échanges. Vous avez la parole.

M. Parizeau (Jacques) : Le projet de loi n° 99 est un document de caractère défensif qui suit le dépôt à la Chambre des communes du projet de loi C-20 du gouvernement fédéral canadien qui, lui-même, constitue un document de caractère défensif élaboré à la suite de la courte victoire fédéraliste d’octobre 1995, Parce que le projet de loi n° 99 est une réponse à C-20. On pourrait commencer par une critique du projet de loi fédéral pour expliquer les dispositions du projet de loi québécois. C’est ce que beaucoup d’analystes ont fait en concluant au caractère un peu automatique inévitable, somme toute presque banal, de la démarche québécoise.

Pourtant le projet de loi n° 99 mérite un meilleur traitement que cela. C’est, à ma connaissance, la première fois que l’on codifie dans un document juridique les droits et prérogatives de l’État québécois. Jusqu’à récemment, ces droits et prérogatives étaient invariablement définis dans le cadre de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique et reflétaient le partage des compétences entre le pouvoir central et les provinces. Pour la première fois, je pense, un texte législatif cherche à définir non pas les attributions des provinces, mais celles du Québec, non pas celles du Québec par rapport à celles du Canada, mais à celles du Québec lui-même. Certains des droits exprimés ont un sens absolu. Ainsi peut-on lire à l’article 2 : « Seul le peuple québécois a le droit de choisir le régime politique et le statut juridique du Québec. » D’autres articles ont une portée affirmative quoique limitée par le régime politique actuel. Ainsi, peut-on lire à l’article 7 : « L’État du Québec est libre d’adhérer à tout traité, convention, entente internationale qui touchent à sa compétence constitutionnelle. »

Bien sûr, on peut considérer que le projet de loi n° 99 n’apporte rien de neuf. Ce n’est pas exact. En effet, si les idées et les principes que l’on y trouve ont été véhiculés souvent dans le passé par les dirigeants politiques du Québec, si on en retrace parfois l’expression dans des résolutions de l’Assemblée nationale, c’est la première fois que la légitimité de l’État du Québec et que ses pouvoirs sont clairement exposés dans un texte législatif. Dans ce sens, le projet de loi n° 99 a pour le Québec la portée d’un texte constitutionnel.Ainsi, revenons un instant sur l’article 2 déjà cité. Les premiers mots sont : « Seul le peuple québécois a le droit de choisir… », etc. La Constitution canadienne de 1982 ne reconnaît pas l’existence du peuple québécois. La Cour suprême, dans son avis de 1998, refuse de se prononcer sur l’existence du peuple québécois. Le projet de loi n° 99, lui, affirme son existence.

Le projet de loi 20, dans le sillage de l’avis de la Cour suprême, veut établir des balises, des conditions à la question posée lors d’un futur référendum sur la souveraineté. Du jugement très arbitraire – j’y reviendrai d’ailleurs tout à l’heure – de la Chambre des communes porté sur la clarté de la question de la question posée et sur la valeur du résultat du scrutin dépendrait l’acceptation par le Canada de négociations avec un Québec qui voudrait quitter le Canada. Le projet de loi n° 99, lui, affirme des principes. Il n’entre pas dans le champ des modalités, sauf lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui est une majorité, c’est-à-dire 50 % plus un, encore qu’il s’agisse de la règle la plus générale de la démocratie et que l’application de toute autre règle aboutirait à reconnaître à un vote minoritaire un poids supérieur à celui d’un vote de la majorité. C’est donc bel et bienune question de principe.

L’ensemble des principes du projet de loi n° 99 sont importants. De leur acceptation découle une certaine vision du Québec, de ses institutions et des responsabilités que ces institutions exercent à l’égard du peuple québécois. Je comprends que, pour celui qui se sent Canadien et qui se veut Québécois aussi, il y a, dans le projet de loi n° 99, une sorte de dilemme. Accepter les principes du projet de loi n° 99 et chercher, par les modalités de C-20, à en bloquer l’application, n’est pas très satisfaisant ni pour la raison ni pour le coeur. Le projet de loi n° 99 définit, somme toute, une identité. Le projet C-20 veut en limiter les possibles applications sinon les rendre inopérantes.

L’accession du Québec à sa pleine souveraineté est toujours l’enjeu de manoeuvres compliquées, tellement compliquées que le public finit par s’y perdre, on le sait, et par décrocher. C’est pour clarifier les choses que l’expression juridique de principes simples est tellement importante et tellement éclairante si on veut se donner la peine d’en faire état, ce qui ne nous évitera pas, bien sûr, de tomber dans le débat constitutionnel lui-même.

La Constitution de 1867 était muette quant aux droits de sécession d’une province. Le Québec tel qu’il était alors est entré dans la Confédération sur un vote de ses députés. Un référendum fut demandé avec insistance par certains députés et fut

refusé au nom de la suprématie du Parlement dans le système politique britannique. On aurait pu imaginer que le Québec puisse sortir du Canada comme il y était entré, sur un vote de ses députés, après une campagne électorale axée sur cet objectif, un peu comme cela s’est fait récemment en Slovaquie. Cela ne s’est pas fait ainsi. Le principe a été établi au Québec que cette décision se prendrait par référendum. Le référendum pour réaliser la souveraineté n’est pas imposé par la Constitution canadienne. C’est un invention du Parti québécois parce que cette façon de procéder semblait plus démocratique et plus exigeante que le vote des députés.

La Constitution de 1982 est tout aussi muette sur le droit à la sécession, et voilà qui est intéressant, après tout, il y a eu un référendum en 1980. Sans doute, les souverainistes ont-ils été battus. Il ne fallait quand même pas être grand clerc, cependant, pour deviner qu’avec 40 % de oui, une nouvelle tentative de souveraineté apparaîtrait tôt ou tard. Pourtant, la sécession n’est pas interdite dans la Constitution de 1982. Elle est aussi muette que celle de 1867. Elle aurait pu être autorisée, la souveraineté, en principe, mais être balisée : obligation de référendum, garantie aux minorités, etc., etc. Rien de tout cela. En fait, rien du tout.

Si le référendum de 1980 portait sur un mandat de négocier la souveraineté, celui de 1995 avait trait à la réalisation de la souveraineté. Une proposition de partenariat a été faite au Canada et des négociations prévues à cet effet auraient duré au plus un an. En cas d’échec de ces négociations, l’Assemblée nationale aurait décrété la souveraineté. La victoire fédéraliste de 1995 fut si courte que, cette fois-ci, le gouvernement fédéral décida d’intervenir directement dans le processus référendaire, mais pas avant, on le sait, d’avoir consulté la Cour suprême. L’appréhension la plus forte avait trait, on s’en souvient, à une déclaration unilatérale de souveraineté laquelle apparut explicitement en 1995 sans que les termes n’aient été utilisés. Comment l’empêcher dans l’avenir ? Parce qu’elle y était la déclaration unilatérale de souveraineté dans la loi de 1995. Si les négociations échouaient, alors l’Assemblée nationale la décrétait.

L’intérêt du Québec consiste à persuader les Canadiens que, si les négociations échouent, l’Assemblée nationale décrétera la souveraineté. C’est la meilleure façon de faire aboutir les négociations et d’obtenir une bonne entente avec le reste du Canada. L’intérêt du Canada, lui, consiste à interdire toute possibilité de déclaration unilatérale de souveraineté de façon à imposer ses conditions aux négociations ou même, le cas échéant, de les faire avorter.

Le gouvernement fédéral demande à la Cour suprême de trancher. Sa première décision ne présage rien de bon pour ceux qui ont sollicité son avis. Qu’est-ce, en effet, qu’une déclaration unilatérale d’indépendance ou de souveraineté ? Voici ce que le paragraphe 86 du renvoi précise : « Ce qui est revendiqué comme droit de faire unilatéralement sécession est plutôt le droit de procéder à la sécession sans négociation préalable avec les autres provinces et le gouvernement fédéral. » Au Québec, depuis 30 ans, il n’a jamais été proposé de faire sécession sans négociation préalable. Jamais. Par qui que ce soit. En tout cas, à ma connaissance, jamais par un élu. Toujours l’idée a été que la souveraineté du Québec aboutirait, d’une façon ou de l’autre, par une entente ou une déclaration unilatérale, mais après des négociations.

À partir de là, les conditions du référendum, question claire, résultat clair, les négociations elles-mêmes de bonne foi, le cadre juridique d’amendement à la Constitution, et les considérations plus concrètes : le partage de la dette, des actifs, etc., ne sont qu’autant de modalités qui s’imposeraient dans un État de droit. Au bout du compte cependant, l’inévitable question se pose toujours : Qu’est-ce que va se passer si les négociations échouent ? La Cour suprême ne répond pas. Elle ne peut, entre nous d’ailleurs, pas répondre. Mais une conclusion de l’avis de la Cour suprême vaut la peine d’être citée au texte. C’est le paragraphe 155, et je cite : « Même s’il n’existe pas de droit de sécession unilatérale en vertu de la Constitution ou du droit international, c’est-à-dire un droit de faire sécession sans négociation sur les fondements qui viennent d’être examinés, cela n’écarte pas la possibilité d’une déclaration inconstitutionnelle de sécession conduisant à une sécession de facto. Le succès ultime d’une telle sécession dépendrait de sa reconnaissance par la communauté internationale qui, pour décider d’accorder ou non cette reconnaissance, prendrait vraisemblablement en considération la légalité et la légitimité de la sécession eu égard notamment à la conduite du Québec et du Canada. » C’est-à-dire aux négociations qui auront eu lieu avant et qui auraient échouées.

On ne saurait mieux dire. Résumons. Le projet de loi n° 99 établit sans ambiguïté le droit du peuple québécois tel qu’exprimé par son Assemblée nationale de définir sans entrave son avenir. Le projet de loi C-20 permet à la Chambre des communes, au cas où une question référendaire serait posée aux Québécois, de déterminer si la question est claire. Cette question ne peut être un mandat de négocier comme en 1980. Il y a une disposition dans C-20 pour empêcher ça. La question ne peut pas non plus faire référence à une proposition de partenariat comme en 1995. C’est interdit dans la Loi C-20.

Même chose pour ce qui est du résultat du scrutin. On se servira de divers critères y compris, et je cite à nouveau : « tous autres facteurs et circonstances qu’elle estime pertinentes. » On nage en plein arbitraire ici. Et quelle est la sanction prévue si le gouvernement fédéral est insatisfait ? Il refusera de négocier.

Si on a bien compris l’avis de la Cour suprême, un tel refus renforcerait en réalité la position morale du Québec. Au-delà du juridisme, cependant, il y a la réalité des choses. Devant un Québec décidé à sortir du Canada et prêt à négocier Ottawa refuserait toute négociation ? Toute ? Même sur le partage du service de la dette ? Même sur la liberté de circulation entre l’Ontario et le Nouveau-Brunswick ? Même sur la transférabilité des pensions ? Disons que ça n’est pas évident, ce n’est pas non plus très crédible.

Dans la vraie vie, après un référendum gagné par les souverainistes, au droit tel qu’il a été exprimé dans le projet de loi C-20, succéderait la mauvaise humeur compréhensible du reste du Canada, et puis les intérêts de financiers de tous finiraient bien par prendre le dessus. Dans l’intervalle, le montant que le Québec devrait normalement verser au Canada à la suite de la sécession, c’est-à-dire sa part du service de la dette fédérale, serait simplement retardé.

On voit là une fois de plus l’inconvénient qu’il y a à chercher à l’avance des règles de droit applicables à une situation encore inconnue. La Constitution canadienne est muette sur la sécession, on veut lui faire dire des choses qu’elle ne dit pas, en somme la faire bavarder. Le Québec est bien plus sage que le Canada en s’appuyant sur des principes et en ne préjugeant pas des modalités.

Si la Constitution canadienne est muette au sujet de la sécession d’une province, elle n’est pas du tout muette à l’égard des frontières des provinces. Depuis l’amendement de 1878 à travers les diverses rédactions qui se sont succédé jusqu’à aujourd’hui, un principe demeure et il peut s’exprimer sainement de la façon suivante : Tout changement apporté aux frontières d’une province doit être approuvé par la Législature de cette province. Ce qui veut dire que tant que le Québec est une province, on ne peut changer ses frontières, et qu’après l’indépendance, toute tentative à cet effet devient sur le plan du droit international une agression. En somme, le mot de Pierre Elliott Trudeau : « Si le Canada peut péter, le Québec peut péter aussi » correspond indiscutablement à un voeu politique, mais les contredit par les dispositions de la Constitution canadienne, y compris par la dernière version, celle de 1982 dont M. Trudeau est l’auteur.

Pour en avoir le coeur net, la commission parlementaire sur l’accession du Québec à la souveraineté créée dans le sillage de la commission Bélanger-Campeau par la loi 150 a demandé à un groupe de cinq juristes de réputation internationale, dont l’un était alors président de la Commission du droit international des Nations unies, un avis juridique sur les frontières d’un Québec souverain. En voici un extrait, je cite : « Le Québec ne peut être obligé à renoncer contre son gré à une portion quelconque du territoire qui est actuellement le sien. Avant l’indépendance, une telle amputation autoritaire est exclue par la Constitution du Canada. Après l’accession à la souveraineté, elle le serait par les exigences fondamentales de la stabilisation des frontières internationales qui traduit le principe du respect de l’intégrité territoriale des États. Entre ces deux situations, il n’y a pas de solution de continuité, par d’interstice du droit, pas un moment où la mutation territoriale pourrait licitement être imposée au Québec sans son consentement. » fin de la citation.

La Cour suprême est manifestement embarrassée par la question des frontières. Après tout, divers groupes dans l’ouest de Montréal manifestent bruyamment en faveur de la partition du territoire québécois. Les autochtones exhibent à la télévision un Québec indépendant amputé des deux tiers de sa superficie.

En fait, la Cour n’aborde la question des frontières qu’à l’occasion de deux paragraphes, en toute révérence, aussi ampoulés l’un que l’autre. Les voici. Paragraphe 96 : « La question des frontières territoriales a été invoquée devant nous. Nul ne peut sérieusement soutenir que notre existence nationale, si étroitement tissée sous tant d’aspects, pourrait être déchirée sans effort selon les frontières provinciales actuelles du Québec. » Puis, paragraphe 139 : « Nous ne devons pas clore cet aspect de notre réponse à la question 2 sans reconnaître l’importance des arguments qui nous ont été présentés relativement aux droits et inquiétudes des peuples autochtones et aux moyens appropriés de délimiter les frontières du Québec en cas de sécession, particulièrement en ce qui concerne les territoires nordiques occupés principalement par des peuples autochtones. »

L’embarras est évident. L’avis est remplacé par une préoccupation sans doute honorable, mais assez peu juridique. L’allusion aux autochtones des régions nordiques est assez mal amenée.

En vertu de la Convention de la Baie-James, telle que traduite dans une loi fédérale et dans une loi du Québec, il est clair que, paragraphe 2.1, « en considération des droits et des avantages accordés aux présentes, aux Cris de la Baie-James et aux Inuit du Québec, les Cris de la Baie-James et les Inuit du Québec cèdent, renoncent, abandonnent et transportent par les présentes toutes leurs revendications, droits, titres et intérêts autochtones quels qu’ils soient aux terres et dans les terres du territoire et du Québec, et le Québec et le Canada acceptent cette cession. » En fait, il y a maldonne. Ce ne sont pas les titres des Indiens ou des Inuit du Nord qui créent problème – enfin, qui créent problème juridique. Ce sont ceux des nations autochtones de la vallée du Saint-Laurent, tels les Mohawks, qui n’ont jamais abandonné, eux, leurs revendications territoriales. Mais cela est une autre histoire.

Le projet de loi C-20 reflète l’embarras de la Cour suprême, tout ce qui apparaît au sujet des frontières et le paragraphe suivant, 3,2 : « Aucun ministre ne peut proposer une modification constitutionnelle portant sécession d’une province du Canada, à moins que le gouvernement du Canada n’ait traité dans le cadre de négociations les conditions de sécession applicables dans les circonstances, notamment la répartition de l’actif et du passif, toutes modifications des frontières de la province, les droits, intérêts, revendications territoriales des peuples autochtones du Canada et la protection des droits des minorités. » C’est tout. Toutes des choses, encore une fois, que le gouvernement fédéral refusera de négocier, dit-il, s’il n’aime pas la question.

Sur cette question des frontières, le projet de loi n° 99, lui, statue tout simplement, paragraphe 8 : « Le territoire du Québec et ses frontières ne peuvent être modifiés qu’avec le consentement de l’Assemblée nationale et du gouvernement. Le gouvernement doit veiller au maintien et au respect de l’intégrité territoriale du Québec. » Puisque le projet de loi C-20 est destiné à gêner, sinon empêcher qu’un référendum sur la souveraineté ne réussisse, il fallait discuter du projet de loi n° 99, comme je l’ai fait, dans une optique résolument souverainiste, et faire appel à des notions, à des textes qui font partie de la problématique souverainiste.

Mais comme le projet de loi n° 99 affirme cependant des principes et que ces principes font depuis longtemps partie du patrimoine commun des partis politiques du Québec, il devrait normalement recevoir l’appui des citoyens et de leurs représentants. Le premier de ces principes, on l’a dit, c’est l’existence du peuple québécois. Que les minorités soient nombreuses au Québec ne change rien au principe. Après tout, qu’il y ait en France quelques millions de Musulmans ne change rien au fait que le peuple français existe et que les Musulmans en font partie. Ce n’est pas l’homogénéité des origines qui caractérise un peuple, c’est une communauté de langue, de culture, de certaines valeurs et le sentiment d’appartenance.

Un peuple ne se construit pas en un jour et le processus d’intégration sera toujours plus facile chez les jeunes que chez les plus âgés. Dans cette construction, certaines gestes ont une importance historique. Telle fut la décision de M. Bourassa de faire déclarer le français comme langue officielle du Québec. La loi 101 fut l’étape suivante.

Certains restent attachés au concept de peuple canadien-français non pas québécois. La notion a été très malmenée. Il est important de préciser que dans les sept provinces autres que le Québec, l’Ontario et le Nouveau-Brunswick, sur 12 000 000 d’habitants, il n’en reste plus que 80 000 qui parlent encore français chez eux. En Ontario, près de la moitié des gens dont la langue maternelle est le français ne le parlent plus. Il n’y a que le quart de millions d’Acadiens qui eux tiennent bon et se considèrent comme un peuple acadien mais sûrement pas québécois. Les autochtones sont, on le sait, un cas à part. Ils se répartissent en 11 nations distinctes reconnues comme telles par l’Assemblée nationale et leurs droits font l’objet d’une protection juridique de plus en plus développée.

Le deuxième principe a trait au fait que le peuple québécois peut déterminer démocratiquement son avenir par le truchement de ses institutions. Le gouvernement fédéral cherche, par une sorte de tutelle, à encadrer le fonctionnement des institutions québécoises, l’Assemblée nationale en particulier. Il n’est pas impensable qu’un vaste consensus des Québécois se dégage pour affirmer la liberté des institutions politiques qui leur sont propres et donc la liberté des citoyens eux-mêmes.

Enfin, l’intégrité du territoire québécois n’est pas un thème partisan. Les gouvernements du Québec se succèdent et ne changent pas de point de vue sur cette question. Concluons que si le projet de loi n° 99 n’a pas été élaboré comme réaction aux menaces du projet de loi n° C-20, il a une portée plus grande, une signification plus profonde qu’un simple geste circonstanciel. Il s’inscrit dans une longue liste de gestes politiques et juridiques qui, au fil des ans, ont conféré à l’Assemblée nationale du Québec l’autorité et l’indépendance qui sont les siennes aujourd’hui. Merci, M. le Président.

(…)

M. Facal : Je vous remercie infiniment, M. Parizeau, pour votre remarquable contribution à nos travaux. Et je me permettrai d’aller droit aux questions.

L’actuel gouvernement, à de nombreuses reprises, a dit qu’il recherchait l’unanimité de l’Assemblée nationale autour du projet de loi n° 99. Il nous apparaît en effet qu’il y a des moments dans la vie des peuples, dans la vie des collectivités, lorsque pèse une menace grave, des moments qui appellent les élus à surmonter leurs divisions, à s’unir et à en appeler à l’union de tous. Or, en 1990, quand vous étiez chef de l’opposition, dans des circonstances certes différentes, vous aviez tendu la main à M. Bourassa que vous aviez appelé « mon premier ministre ». Revenons un peu en arrière et expliquez-nous pourquoi vous aviez à ce moment-là senti ce besoin de tendre la main à un homme auquel vous vous opposiez pourtant sur tant de plans ?

M. Parizeau (Jacques) : Je dirais, M. le Président, que ça va être la première fois que je m’explique en public de ce geste-là, bien des années après. M. Bourassa avait présenté les conditions, disait-il lui-même, les plus minimales qu’un premier ministre du Québec n’avait jamais présentées aux provinces canadiennes et à Ottawa pour revenir dans le cadre de la Constitution canadienne.

Que ces questions soient acceptées et Québec, qui n’a jamais accepté la Constitution de 1982, l’accepterait. Il était très conscient lui-même qu’il y avait un risque politique important pour lui à demander si peu. Moi, de mon côté, je me rendais bien compte que, si peu que ce soit, des symboles avaient pris racine dans le public, la société distincte était devenue une sorte de drapeau, que bien des gens se satisferaient de Meech si M. Bourassa obtenait Meech et que ça ne faciliterait certainement pas les objectifs de souveraineté que, moi, je pouvais avoir. La seule défense possible de ma part, c’était à l’Assemblée nationale – certains d’entre vous s’en souviendront parce que j’ai fait montre d’une persistance remarquable pendant tous les débats là-dessus – c’était simplement de dire à M. Bourassa : Ne lâchez pas, sur aucun des cinq points, demandez-les comme ils sont écrits. Avec un appel pareil, forcément, la réponse… Enfin, moi, j’avais l’impression que ça durcissait les positions de M. Bourassa lorsque des négociations avaient lieu.

Mais il reste que ses homologues, premiers ministres d’autres provinces, et le premier ministre du Canada, acceptaient les cinq conditions, y compris la « société distincte », et y attachaient d’ailleurs – c’était assez touchant comme spectacle – un avis juridique pour bien indiquer que la société distincte n’avait aucune signification juridique. Aucune. Mais le symbole était fort.

Et on a vu monter chez les anglophones, le public – pas les chefs, pas les dirigeants politiques canadiens qui se sont entendus, qui ont tous signé – l’opposition à Meech et, singulièrement, à la société distincte monter, de sondage en sondage. Meech avait passé devant chacune des législatures. M. Wells est devenu le champion populaire de la lutte contre Meech et il a, effectivement, polarisé toute l’opposition à la clause de la société distincte dans le public.

Évidemment, il y a eu échec au Manitoba, là à cause d’un représentant de la communauté autochtone. Ça avait l’air un peu prétexte, ce n’est pas aussi clair que la décision, quelques jours après, prise par M. Wells à Terre-Neuve de ne pas présenter à sa législature le projet d’entente parce qu’il aurait été défait.

Pour M. Bourassa, c’était un effondrement. On se connaissait suffisamment pour que je sache qu’est-ce que ça voulait dire pour lui. Pendant des années, il avait tout misé là-dessus. Il était passé à deux doigts de l’échec. Et les échecs avaient été remplacés par des victoires. Il sentait chez beaucoup de ses collègues beaucoup d’appui, à lui-même, sans doute, mais à ce qu’il avait demandé, et au Québec de façon générale. Et puis, ce soir-là, le soir de Wells, là, au fond, il donnait l’impression d’un homme qui avait tout perdu. Ce n’est jamais très fort. Quand le premier ministre du Québec est faible, le Québec n’est pas fort. Ce n’est pas vrai, ça. Le premier ministre est trop important dans notre processus politique pour qu’un premier ministre éprouve une défaite de cette ordre-là sans que le Québec manifeste du même coup une faiblesse politique considérable. Et c’était évident que, ce soir-là, c’était le premier ministre du Québec qui avait été battu mais, avec lui, une partie importante du peuple québécois.

Alors, qu’est-ce que vous faites dans des cas comme ça ? Évidemment, moi, j’étais ravi, vous comprenez, de l’échec de Meech. J’étais content dans mon bureau. J’avais assez travaillé pour que ça ne marche pas. Mais là, bon, le résultat était là. Alors, qu’est-ce qu’on pouvait faire ? La première des conditions, c’était qu’on travaille ensemble à faire quelque chose pour se sortir de là. Et ça a été Bélanger-Campeau.

Ça, c’est un épisode très mal connu que toutes les nominations, sauf quatre, y compris les nominations des coprésidents, ont été entérinées conjointement par M. Bourassa et par moi. Et quand un des commissaires n’arrivaient pas à faire notre affaire, de l’un ou de l’autre, il était laissé de côté, on cherchait quelqu’un d’autre. Je n’ai pas vu ça souvent dans mon parcours politique. Et, encore une fois, je ne prends pas plus de crédit qu’il n’en faut ; M. Bourassa a eu un mérite certain. Singulièrement, après qu’on ait commencé à nommer les commissaires, on savait très bien que, comme la première des préoccupations ce serait souverainiste, où c’était un fédéraliste, dur ou mou, ou quelque part entre les deux, il y avait une sorte de jugement politique à porter sur chaque homme. On pouvait le faire dans une sorte d’intolérance ; seulement, on pouvait le faire, au contraire, dans un esprit de collaboration qui, je pense, a duré d’ailleurs jusqu’à la fin de la commission. (…)

M. Facal : Faisons maintenant, un instant, l’hypothèse – hypothèse – qu’au moment où vous accédez, fin 1994, à la charge de premier ministre, la loi fédérale C-20, avec les dispositions qu’on lui connaît, ait été en place. En quoi cela aurait-il changé l’analyse que vous auriez faite de la conjoncture et surtout les décisions que vous avez prises entre la fin 1994 et 1995 relativement à l’organisation du référendum ? Vous prenez le pouvoir fin 1994 et il y a une loi fédérale qui vous dit : La question ne peut porter sur ceci, ne peut porter sur cela. Auriez-vous passé outre ?

M. Parizeau (Jacques) : Il aurait fallu que j’y repense un peu. Ce n’est pas épidermique, ces réactions-là. Le premier élément d’organisation du mouvement politique, après avoir pris le pouvoir, aurait été certainement celui d’un recours à l’Assemblée nationale. Parce que j’imagine que j’aurais protesté contre ça au moment où ça aurait été passé en 1992-1933 ou 1989-1990. À partir du moment où j’étais chef de l’opposition en Chambre, ça aurait été une cible constante. En somme, la première chose que j’aurais faite, je pense, ça aurait été de vouloir ou, enfin, dégager l’Assemblée nationale de l’espèce de tutelle que le gouvernement fédéral voulait lui imposer et établir la légitimité d’une démarche québécoise qui ne cherche pas à s’embarrasser des limitations que la Chambre des communes peut lui imposer dans un domaine qui est celui de sa propre compétence. Après tout, Québec a le droit d’organiser des référendums sur les questions qu’il veut bien. Alors là, il aurait fallu un recours à l’Assemblée nationale. Ça, ça me paraît tout à fait évident.

Le deuxième geste aurait certainement été d’ouvrir rapidement – et là en utilisant les véritables expressions – sur l’équilibre ou le déséquilibre des intérêts dont je parlais tout à l’heure dans mon papier : faire comprendre que l’intérêt du Québec, c’est une déclaration unilatérale de souveraineté. Et voici comment ça se définit, et l’intérêt des fédéralistes, c’est de faire en sorte que le gouvernement fédéral cherche à imposer ses conditions à un vote au Québec, puis à l’encadrer, à faire en sorte qu’une déclaration unilatérale de souveraineté soit juridiquement impossible. Dans ces conditions, vous voyez, je recherchais à avoir un consensus tout de suite en arrivant. Après ça, on aurait eu une grosse bagarre entre les deux partis politiques sur la signification d’une déclaration et le rôle d’une déclaration unilatérale de souveraineté, et on serait passé au juridique très rapidement, très rapidement, pour enlever ça du chemin puis être capable d’aborder ensuite les arguments de fond : Pourquoi on veut faire la souveraineté, pourquoi on ne veut pas la faire, dépendant des conséquences, bonnes ou mauvaises, selon les cas ? Et je pense qu’il aurait fallu enlever le juridique, utiliser le poids de l’Assemblée nationale pour enlever le juridique du chemin, puis préciser les termes avant d’aborder le fond du débat. C’est ce que je vois en cinq minutes. Ça aurait bien pu être autre chose, aussi, que ça. Mais c’est ça qui me vient à l’esprit.

M. Facal : À la page 9 de votre mémoire, vous écrivez, je cite : « Dans la vraie vie, après un référendum gagné par les souverainistes, au droit, tel qu’exprimé dans le projet de loi C-20, succéderait la mauvaise humeur du reste du Canada, et puis les intérêts financiers de tous finiraient par prendre le dessus. » Pourriez-vous, en rétrospective, nous dire, dans les jours qui ont précédé la date du référendum, comment pensiez-vous que le reste du Canada réagirait à une victoire du Oui ? Quelle était, dans votre esprit, la séquence des événements telle que vous l’anticipiez ?

M. Parizeau (Jacques) : Ce ne sont pas des question minuscules, ça. En 1988, quand je reviens aux affaires, je suis convaincu qu’il ne faut plus jamais donner une poignée, dans un champ commercial, économique ou financier, à ceux qui ne veulent pas que la souveraineté se fasse. Ça explique bien des choses. Ça explique, par exemple, pourquoi, au Québec, là encore par une collaboration entre M. Bourassa et moi, la question du libre-échange avec les États-Unis est devenue non partisane. On y allait un peu avec des pensées ou des arrière-pensées très différentes, on se comprend bien. Pour le gouvernement de l’époque, c’était une bonne occasion d’accroissement de marché vers les États-Unis. C’est vrai que l’Ontario… J’ai déjà dit, moi, que si j’étais ontarien, j’aurais été contre, parce que les succursales américaines jouaient un tel rôle en Ontario que ce n’était pas évident, en levant les derniers droits de douanes, que ça aurait un effet nécessairement positif pour l’Ontario. Alors qu’au Québec où les succursales américaines jouent un rôle beaucoup moins grand et où la PME représente l’assise même, au contraire, lever les droits de douanes américains, à peu près tout ce qu’il y avait comme hommes d’affaires dans le coin trouvaient ça adorable, merveilleux, étaient prêts à appuyer ça. Les syndicats, j’ai eu beaucoup plus de difficultés avec les syndicats. Et, en fait, c’est très intéressant – c’est un à-côté – qu’on ait fait fléchir la résistance des syndicats par le truchement du plus grand syndicat d’entreprises privées au Québec : les métallos. Les métallos ont vu tout de suite les possibilités d’emplois et d’expansion qu’il y avait là-dedans. Alors que, par exemple, les syndicats du secteur public voyaient davantage leur garantie, leur sécurité sociale, dans le sens très large du terme, menacée par une homogénéisation des conditions à travers l’Amérique du Nord. Je pense encore aujourd’hui qu’on n’aurait pas réussi à rendre ça non partisan si ça n’avait pas été des métallos. Ils ont joué un rôle probablement plus grand qu’ils ne le savent. Enfin, bon…

D’autre part, au Parti québécois, il y avait un deuxième point de vue très important, c’est que, quand le Québec va devenir souverain, les anglophones ne seront pas de bonne humeur. Il va y avoir, comme on l’a chaque fois dans des crises comme ça, des premiers ministres de provinces de l’Ouest ou je ne sais pas qui font des discours en disant : Et, si vous faites ça, on n’achètera plus vos textiles, on n’achètera plus vos chaussures, on n’achètera plus ceci, ça et autre chose. Une zone de libre-échange nous garantissait contre ça.

Par la suite, on a essayé de dire : Ah ! Oui, mais ce n’est pas garanti si le Québec devient souverain. On a dit : Peut-être que les Américains ne voudront pas vous recevoir. Le problème n’était pas là. Les Américains, leur attitude à l’égard de questions comme celle-là, on l’a fait examiner par un avis juridique de Rogers & Wells – Rogers est un ancien secrétaire d’État aux États-Unis – et qui aurait dû être lu. Le danger, il ne faut pas se faire d’illusions, il n’était pas là. Moi, en tout cas, j’avais mes garanties, je savais qu’elles étaient en place. On devenait intouchables par où on voulait, par où ça fait mal, c’est-à-dire le commerce.

La deuxième question qu’il fallait régler, c’était la question de la monnaie ; ça nous empoisonnait de façon sempiternelle, cette affaire-là. Et c’est là que la décision a été prise : Oui, nous prendrons le dollar canadien. C’est une décision qui appartient aux Québécois qui sont propriétaires du quart de la masse monétaire. Ce n’est pas une dette pour eux. S’ils veulent garder le dollar canadien, ils vont garder le dollar canadien. Et, on vous avertit tout de suite, quand on sortira de là, on garde le dollar canadien. Alors, on nous a traités de pique-assiettes, de tout ce qu’on voudra, mais personne… Quand le débat des techniciens a été terminé, eh bien, c’était clair : oui, si on voulait garder le dollar canadien, on gardait le dollar canadien. Là, il y a des gens qui nous disaient : Mais vous n’aurez jamais d’influence sur la politique monétaire. Bien, on n’en a jamais eu !

Alors, ça, on est entrés, en un certain sens, tout équipés là-dedans pour se prémunir contre la mauvaise humeur. Mais ça, ça s’était préparé depuis longtemps, là, on se comprend, on n’a pas été élus puis inventer ça. On a travaillé sur ça, les conséquences que ça pouvait avoir, les aspects juridiques de la question ; on a travaillé quatre ans. Quand on est arrivés au pouvoir, on était bardés sur ces deux choses-là et, là, je savais bien que, finalement, les risques étaient… Là, je parle seulement des deux questions les plus importantes ; il y a eu d’autres initiatives pour éliminer les risques dans le sens de ce dont je viens de parler.

(…)

La proposition de partenariat, elle, est venue plus tard, justement après qu’on ait pris le pouvoir. Moi, je pensais que, au fond, il fallait se protéger, en sachant que, de toute façon, il y aurait des négociations. De toute façon, il y aurait des négociations. Les éléments dont j’ai parlé aujourd’hui… Est-ce que vous pensez vraiment que le gouvernement canadien va refuser de signer un accord qu’on peut faire en 24 heures pour assurer la libre circulation de tout ce qui doit circuler entre l’Ontario et le Nouveau-Brunswick ? Il faut être sérieux, bien sûr qu’on signe ça, puis la négociation dure 10 minutes. Peut-être un peu plus long, à cause du service des transports routiers qui, eux, vont peut-être prendre une heure pour écrire quatre lignes, mais c’est tout. Bien sûr que non. Je savais qu’il y en aurait, des négociations. Un peu, beaucoup, passionnément, à la folie ? Probablement peu pour commencer, probablement pas mal plus au fur et à mesure où le temps passerait puis que la mauvaise humeur baisserait un peu.

Là, il est arrivé la question du partenariat. Le partenariat, c’était tellement évident, au fur et à mesure où, politiquement, on faisait avancer la chose, que les gens voulaient – on l’a vu par les commissions sur l’avenir du Québec – que les chefs politiques le souhaitaient, M. Bouchard, M. Dumont. Alors, à partir du moment où on faisait une proposition de partenariat qui serait acceptée ou refusée ou négociée ou, en tout cas, à un moment donné il y aura un bout, une fin de ces discussions-là, ça marcherait, ça ne marcherait pas. Si ça ne marchait pas, on pouvait y aller seuls et on y allait seuls. À partir du moment où c’était présenté comme ça, il n’y avait pas vraiment d’objection à faire entrer un processus formel de négociation d’un partenariat dans un système qui, tel qu’il avait été monté de notre côté, permettait ça sans aucun dégât au fond, même avec beaucoup d’avantages sur un certain plan psychologique. (…)

M. Pelletier (Chapleau) : Merci, M. le Président. M. Parizeau, merci pour votre exposé. Je dois dire que je suis très heureux de faire votre rencontre, d’abord, pour la première fois et, deuxièmement, je trouve votre exposé et votre présence d’autant plus intéressants que je suis un jeune parlementaire – comme vous le savez – je suis issu de l’élection de 1998 et je trouve toujours, disons, intéressant de rencontrer des gens qui ont assumé la fonction de premier ministre du Québec.

Je remarque par ailleurs que le député de Fabre et ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes vous a posé trois questions. La première question tentait de nous ramener, finalement, à la main tendue de 1990 suite à l’échec du lac Meech et à cette espèce de consensus politique que l’on cherchait de part et d’autre à atteindre ou à obtenir au Québec. Je ne sais pas si le député voulait faire une analogie avec la situation actuelle. Si c’est le cas, j’espère que non pour lui, parce que j’ai noté que dans votre réponse vous avez dit : Quand le premier ministre du Québec est faible, le Québec n’est pas fort. J’espère que ce n’est pas, dans votre esprit, applicable à la situation actuelle parce que, si c’était le cas, ça mettrait bien entendu le député de Fabre dans l’embarras.

La deuxième question du député a porté cette fois-ci sur l’hypothèse où le projet de loi C-20 du fédéral aurait été adopté au moment où vous étiez au pouvoir comme premier ministre. Vous me permettrez de dire, de façon un peu amusée, que j’imagine que c’est sans doute la première fois que les journalistes ici présents auront eu la chance d’entendre un politicien répondre à une question hypothétique.

La troisième question maintenant du député de Fabre portait cette fois-ci sur la page 9 de votre mémoire, c’est-à-dire les intérêts financiers qui étaient en cause dans l’hypothèse de la sécession du Québec, la séquence des événements par la suite, sur le plan financier bien entendu, c’est-à-dire ce que certains journalistes ont appelé le plan O – je pense que c’est comme ça que ça a été baptisé, notamment dans la revue L’Actualité , au moment où le plan était rendu connu ou a été rendu public – justement, la question du ministre me permet de vous demander si, maintenant que nous sommes rendus à l’an 2000, il n’est pas temps que le plan O soit rendu public et que la population du Québec puisse en prendre connaissance, d’autant plus que vous n’ignorez sans doute pas que le 20 janvier 2000, c’est-à-dire tout récemment, la Cour suprême du Canada a rendu une décision qui a pour effet d’obliger l’Ontario à rendre publiques des études qui ont été elles aussi réalisées en 1995 et qui portent sur les conséquences possibles, hypothétiques finalement, au point de vue financier d’une victoire du camp du Oui. Alors, dans le contexte où l’Ontario rend publiques ses propres études financières de 1995, dans le contexte où, à mon avis, la démocratie au Québec vaut bien celle de l’Ontario, dans le contexte où on parle de clarté des enjeux, M. Parizeau, ne croyez-vous pas qu’il est temps que le gouvernement rende publiques les études de 1995 portant sur le plan O ?

(…)

M. Parizeau (Jacques) : Bon, ça fait une série de choses, je les prends une à une. Quand je disais : Quand le premier ministre est faible ou affaibli, le Québec n’est pas fort, je disais ça dans un cadre bien précis qui était celui de M. Bourassa tout de suite après l’échec de Meech. On va faire sortir la phrase que j’ai énoncée du cadre…

M. Pelletier (Chapleau) : …avec la situation actuelle, à vos yeux.

M. Parizeau (Jacques) : Simplement un petit sourire, si vous me le permettez, quant aux questions hypothétiques. Oh non ! un politicien ne fuit pas les questions hypothétiques. Il les fuit devant les journalistes, mais il ne les fuit pas. Ha, ha, ha ! Au contraire, la politique, c’est de passer son temps à se dire… Tu sais, quand on dit : Gouverner, c’est prévoir, là, prévoir quoi ? S’il se passe ça, qu’est-ce qu’on fait ? Puis, si c’est autrement, qu’est-ce qu’on fait ? La vie politique est une longue quête de l’hypothétique, à moins, si on ne veut pas pratiquer l’hypothétique, d’avoir évidemment les certitudes de solidité biblique. Mais, enfin, ce n’est pas mon cas.

Le plan O. Le plan O, ce n’est pas 1995, ça, monsieur. Oui, c’est 1995, c’est après la période référendaire, mais ça n’a rien à voir avec… C’est une étude sui generis. Elle n’entre pas dans les études Le Hir ou dans ces choses-là. Voici, j’ai eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises – mais vraiment à plusieurs reprises, je ne sais pas, moi, 10 fois, et là, devant les journalistes, les questions n’étaient pas hypothétiques – que, moi, j’étais tout à fait favorable à ce que le plan O sorte, et non seulement sorte, mais soit discuté publiquement. Parce que, oui, il faut faire de l’analogie avec les documents du gouvernement de l’Ontario, et c’est charmant. Je les ai fait sortir sur Internet, les documents du gouvernement de l’Ontario. C’est gentil mais ce n’est pas poussé très, très, très loin. Il y a des choses qui sont à peine esquissées. Les journaux de Toronto en ont fait grand état pendant à peu près 24 heures puis, après ça, dès qu’ils ont regardé le texte pour ce que c’était, ils se sont bien rendu compte que c’était vraiment des esquisses. Le plan O, ce n’est pas ça. Le plan O, c’est… Mais j’aimerais ça que ça soit discuté en public, que ça donne lieu a un débat. En un certain sens, c’est un morceau de notre histoire, le plan O.

Moi, quand j’étais dans ce Parlement comme attaché politique et conseiller de M. Lesage, puis de M. Johnson, on se posait souvent la question : Où est le vrai gouvernement ? Parce que plus souvent qu’à son tour, quand un nouveau premier ministre était élu, les gens qui contrôlaient le syndicat financier à cette époque-là nous flanquaient dans les pattes pendant trois, quatre jours, cinq jours des flopées d’obligations, qui se vendaient évidemment à perte. On commençait à parler d’une panique. Et alors là – c’était toujours dans le « boardroom » de la Banque de Montréal – le nouveau ministre des Finances, qui venait d’être nommé, allait déjeuner avec les gens du syndicat et le président de la Banque de Montréal, dans le « boardroom » près de la place d’Armes, et on se parlait. Et après s’être bien entendus, là, comme par hasard, le cours des obligations remontait ; il n’y avait plus de panique ; comme par enchantement, les finances publiques du Québec venaient d’être assainies. J’ai vu ça quatre, cinq fois, moi. Ce n’est pas la seule raison, mais c’est une des raisons. Quand ces obligations étaient vendues, apparaissait un écart entre le rendement des obligations de l’Ontario et le rendement des obligations de Québec. Il y a toujours un, « l’escompte de la dignité », comme je l’ai appelé, un 30, 35 points de base, mais là, ça augmentait chaque fois qu’un nouveau premier ministre arrivait, à cause de ce que je viens de vous dire. Les « spreads », si vous me passez l’expression, augmentaient très nettement. L’écart n’a jamais été aussi fort dans l’histoire, aussi gros que le jour de l’élection de M. Bourassa. Et pourtant, Dieu sait s’il ne les menaçait pas, ces milieux-là. Mais il était jeune, il était nouveau. C’était une quantité inconnue dans ces milieux. Ils ont fait apparaître un écart de taux de rendement, en l’espace de deux ou trois séances, de 1,20, 120 points de base. Je n’avais jamais vu ça. Alors, on a fini par apprendre. Il y a une Caisse de dépôt qui, vous comprenez, est capable d’arrêter n’importe quelle panique de cet ordre-là. Maintenant, on n’a plus besoin d’aller faire des pèlerinages à la Banque de Montréal, la Caisse de dépôt est là. Elle laisse ceux qui sont assez téméraires pour vendre des obligations les vendre, prendre un peu de perte, puis elle rafle tout. Et là c’est la Caisse de dépôt qui fait un profit. Ils savent comment, à part de ça, à la Caisse ; ils ont rodé ça pendant des années.

Mais là, un référendum qui donnerait un oui, c’est beaucoup, beaucoup d’argent que ça prendrait, en liquidités. On n’a pas enlevé ça dedans les programmes ou dans quoi que ce soit là. La Caisse de dépôt a, je ne sais pas, moi, 100 000 000 000 $ d’actifs à l’heure actuelle ; une bonne partie de ça est en liquidités. Mais Hydro tout seul, c’était gros, l’opération. Alors, on ramassait à peu près tout ce qu’il y avait comme institutions publiques disposant de liquidités et alors on en a fait une sorte de réserve. À quelques jours, là. On se comprend ? Ce n’était pas investi dans des garages, ça, ou, je ne sais pas, moi, dans des immeubles. En quelques jours, on a pris des bons du Trésor, par exemple, des choses comme ça, des prêts à très court terme. Et c’est le ministère des Finances qui a fait ça, Jean Campeau avec l’aide de ses fonctionnaires. Et, quelques jours avant le référendum – ils savent que je pose toujours des questions comme ça – j’ai dit : On a quoi en réserve ? Puis ils m’ont montré ça, la liste. C’était, si je me souviens bien, au-delà de 17 000 000 000 $.

On était prêt à toute éventualité, étant entendu que c’est la Banque du Canada, qui avait à peu près le même montant en devises américaines, en devises étrangères… La Banque du Canada s’occupait du marché de l’échange et du change étranger, de la cote du dollar canadien sur les marchés étrangers, et puis, nous, on s’occupait essentiellement des mouvements d’argent en dollars canadiens, des tentatives de créer une panique sur les titres libellés en dollars canadiens. On ne s’était pas partagé le travail. Non, non. Mais comme on était tous des grands garçons puis des grandes filles qui travaillions là-dedans depuis 30 ans, il y a des affaires qu’on <n’a>n’avait pas besoin de s’expliquer et de faire de dessin. On était fin prêts.

En plus de ça, il y a, dans le plan O – ça, je ne savais pas ça à l’époque – une série de règles de fonctionnement écrites, pour opérer tout ça, par le ministère des Finances et les fonctionnaires du ministère des Finances. Alors, quand ça a commencé à effervescer en public, le fonds O, là, j’ai appris qu’il y avait un papier et que les fonctionnaires du ministère des Finances ne voulaient pas que leurs « trade secrets », si vous me passez… qui sont exposés là-dedans soient dévoilés en public, pour des raisons de tactique essentiellement, d’efficacité de leurs actions. Ça, je n’en sais rien. Peut-être que oui, peut-être que non, je n’ai pas vu le papier. Mais il y a une chose qui est claire, c’est que le plan O lui-même, les listes dont je viens de vous parler, non seulement je voudrais que ça soit rendu public, mais, d’autre part, qu’on ait un bon débat, qu’on puisse expliquer aux gens comment ça marche, comment on a transformé le système, pourquoi le Québec, à l’heure actuelle, est capable de résister à des pressions financières comme très peu de gouvernements sont capables de le faire.

Ce n’est pas rien ce qu’on a créé au Québec : un système de défense des décisions de l’Assemblée nationale contre toute ingérence financière. Il y a de quoi en être très fier. Dieu sait que, moi, à la première occasion que j’aurai… Ne vous en faites pas, si on décide de rendre le plan O public, je m’inscris comme témoin, mettons comme commentateur. Ha, ha, ha !

Des voix : Ha, ha, ha !

Le Président (M. Bertrand, Portneuf) : M. le député de Chapleau.

M. Pelletier (Chapleau) : Ça nous fera plaisir de vous recevoir. Et je dois vous dire qu’effectivement je crois qu’il est temps que les Québécois disposent de ces informations-là, qui sont très pertinentes dans le débat.

M. Parizeau (Jacques) : Je comprends.

M. Pelletier (Chapleau) : J’en ferai la demande officielle au gouvernement, bien entendu, afin que les Québécois puissent avoir l’ensemble du portrait et pouvoir, eux aussi, profiter de la clarté des choses et de la clarté des enjeux.

Une question que soulève, par ailleurs, votre mémoire. Vous faites allusion à différentes reprises au cas des autochtones au Québec. Bon. Vous nous dites que les autochtones de la vallée du Saint-Laurent, évidemment, c’est un problème différent des autochtones du Nord québécois. J’en suis. Vous nous dites que, par ailleurs, les autochtones sont un cas à part en ce qui concerne la définition du peuple québécois. Je dois vous dire qu’effectivement, hier, on s’en est rendu compte. Parce qu’on a reçu justement M. Picard, représentant de différents groupes autochtones – on recevra d’autres groupes autochtones aujourd’hui – et on s’est rendu compte qu’ils avaient beaucoup de peine à s’identifier au concept de peuple québécois. Ils se considèrent comme étant des peuples et des nations distincts. Donc, ces parties-là de votre mémoire sont particulièrement intéressantes.

Mais je voulais savoir ce que vous pensiez d’une déclaration qui a été faite, lors de l’élection de mai 1997, par M. Gilles Duceppe qui admettait, donc, que les problèmes territoriaux qui concernent les autochtones étaient des problèmes suffisamment majeurs pour que la question des droits territoriaux fasse l’objet finalement de décisions par un tribunal international. Je note ici, parce qu’il s’agit d’un article de Vincent Marissal, du 22 mai 1997, ceci, et c’est cela que je vais vous demander de commenter. Je dois dire cependant que c’est un résumé de l’entrevue qui avait été accordée par M. Duceppe, et le résumé dit ceci : « Un Québec souverain négociera avec les autochtones, mais les découpages territoriaux pourraient être tranchés par un tribunal international en cas de litige avec les premières nations qui tiennent à rester au sein du Canada. » Alors, évidemment, j’aimerais savoir, vous, ce que vous pensez de cette proposition et de cette hypothèse que, premièrement, il puisse y avoir des découpages territoriaux et que, deuxièmement, donc, ces problèmes territoriaux là soient tranchés par un tribunal international.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf) : M. Parizeau.

M. Parizeau (Jacques) : Ça, c’est une question qui est très, très complexe, on se comprend ? C’est d’une complication, et ça m’a pris des années seulement pour comprendre toutes les arcanes de cette question-là. Quand on dit : Il y a 11 nations distinctes, c’est vraiment ça, hein ? Il n’y en a pas deux pareilles. J’ai négocié pendant un bon bout de temps avec les Montagnais et Atikamekw, jusqu’à ce que je me rende compte que, d’abord, entre les Montagnais et les Atikamekw, ce n’était pas pareil, puis, d’autre part, que le tronc montagnais se divise en deux. Je me suis retrouvé, à un moment donné, avec des tables de négociations toute épivardées. Ce n’est pas facile. Puis les intérêts sont très, très différents. Sur le plan juridique aussi, ça se présente de façon très différente. L’intégrité du territoire, le maintien de… la responsabilité qu’on donne à l’Assemblée nationale et au gouvernement de se porter garants de l’intégrité du territoire national, ça ne veut pas dire qu’on n’est pas capable de discuter ou de régler des problèmes. Ça veut simplement dire que tant que, nous, on n’est pas d’accord, ça ne se fait pas. Ce n’est pas pareil, ça.

Quel pourrait être le statut juridique des Mohawks à Akwesasne et à Kahnawake ? Là, nous sommes en face de territoires. Akwesasne recouvre un bout de l’Ontario, du Québec puis de l’État de New York. Les Mohawks se considèrent ni comme Québécois ni comme Canadiens. Ils refusent tout statut de cet ordre-là. Ils vont refuser des propositions fédérales quant à leur territoire autant qu’ils vont refuser les nôtres. Est-ce que, dans ce cas-là, une cour internationale peut donner un coup de main, <singulièrement pour= » » akwesasne<t= » »> ? Il ne faut pas s’étonner qu’Akwesasne, ça soit un endroit rêvé pour la contrebande puis des histoires pareilles. C’est à cheval sur trois frontières : deux pays et deux provinces d’un des deux pays. Est-ce qu’une cour internationale peut donner un coup de main là-dessus ? J’imagine, probablement. Encore que notre problème là-dedans, c’est vraisemblablement de faire accepter ça pas par Ottawa, pas par Québec, par les Mohawks. Mais peut-être que ça peut aider. Dans ce sens-là, ce qu’a dit M. Duceppe, ce n’est pas à repousser du revers de la main. Il peut y avoir des cas où c’est commode.

Dans d’autres cas, ça ne se pose pas comme ça du tout. On peut fort bien imaginer un gouvernement d’une nation autochtone qui dispose en pleine propriété de terres… Bien, comme chacun d’entre nous peut acheter un bout de terre. Tu sais, ce n’est pas un droit de sécession, ce n’est pas un droit – comment dire – de territoire politique, c’est : le gouvernement de cette nation autochtone dispose de terres en toute propriété et, d’autre part, peut avoir des droits d’accès à d’autres terres mais, donc, n’a pas, en ce sens-là, de frontières. On parle toujours des frontières ou des territoires, mais, attention là, dans un certain nombre de cas, ça ne se présente pas comme ça, il n’y a pas de frontières véritables. Il va falloir en créer, des frontières, peut-être autour des terres qui sont en pleine propriété.

Il n’y a pas trois cas pareils. Enfin, moi, en tout cas, s’il y a trois cas pareils, je ne les connais pas, sauf les Naskapis, les Cris et les Inuit, à cause de la Convention de la Baie James. Là, ils ont renoncé à leurs droits territoriaux. Donc, on discute à pied d’oeuvre. Ça ne veut pas dire qu’ils n’auront pas droit à des terres, à un moment donné, ou à une juridiction sur des terres. Ce que je veux dire, c’est qu’on négocie à pied d’oeuvre. Là, il n’y a pas de, comment dire… On ne va pas faire appel à un tribunal, parce que <c’est déjà…= » »> l’entente est signée, la Convention est signée. Les Mohawks, peut-être qu’un tribunal international peut donner un très gros coup de main. Les Montagnais, je ne sais pas. Les Montagnais, ça, c’est encore autre chose, les Montagnais.

Alors là, s’il y a une chose que j’ai apprise, en tout cas, c’est que, si vous me passez l’expression un peu vulgaire, des « painkillers », là, dans les affaires autochtones, ça n’existe pas. Il n’y a pas de « painkillers ». Il n’y a pas de solution miracle, il n’y a pas une panacée, vous prenez ça… Ce n’est pas par hasard qu’on les a appelés des nations distinctes. Elles sont distinctes, puis vraiment distinctes, ce qui… Écoutez, il n’y a pas de raison, d’ailleurs, de s’en faire une maladie. On n’a pas voulu régler les problèmes de ces gens-là depuis longtemps. On s’est imaginé que ça disparaîtrait. De toute façon, ils sont 60 000, bon, puis, un bon jour, ils vont se fusionner ou ils vont s’intégrer. On ne s’est pas occupé de leurs affaires. Et maintenant, deux siècles plus tard, ça nous remonte en pleine figure, et puis on trouve ça compliqué. Bien oui, bien, tant pis. Qu’est-ce que vous voulez ? C’est ça, le poids de l’histoire, hein ?

(…)

M. Dumont : Oui. Merci, M. le Président. M. Parizeau, bienvenue aux travaux de notre commission. On vous a fait largement parler sur vos mémoires, sur des notes historiques, je vais essayer de revenir davantage sur le Québec de février 2000. Juste remonter à des choses que vous avez dites. Il n’y a pas de doute que le parti que vous avez représenté à l’Assemblée nationale a défendu l’intérêt du Québec sur une base idéologique, et vous vous en êtes fait un porteur. Vous avez dit, tout à l’heure : Le peuple voulait Meech, on sentait que le peuple voulait Meech, mais, nous, par en arrière, on travaillait contre. Après le référendum de 1995, le peuple avait tranché. Vous, vous dites : Nous, on est de ceux qui continuent. Puis vous l’avez dit dans un congrès récent d’un autre parti, qu’on doit continuer dans cette même direction-là. Et je pense que c’est un problème fondamental du Parti québécois, la capacité de s’appuyer et d’écouter la volonté populaire.

Mais là où je veux faire converger mon point… Vous avez dit quelque chose de très important : Quand le premier ministre du Québec est faible, le Québec est faible. Or, moi, quand je regarde la façon dont Ottawa traite le Québec, quand je regarde le projet de loi C-20, quand je regarde l’aisance avec laquelle le gouvernement Chrétien marche sur le Québec, je conclus : Le Québec est faible et, je suis d’accord avec vous, le premier ministre du Québec est faible, le gouvernement du Québec est faible. Le gouvernement du Québec s’est donné une stratégie électorale, qui s’appelle des conditions gagnantes, qui te permet de passer une élection à double discours, en d’autres termes en disant à ceux qui n’aimeraient pas vraiment un référendum dans l’immédiat : Bien, si on n’a pas les conditions gagnantes, il n’y en aura pas, mais en disant à ceux qui en veulent un : On va travailler pour avoir les conditions gagnantes, mais qui n’est pas une stratégie de gouvernement, qui ne s’appuie pas sur une volonté populaire. Et, moi, je considère que ce qui en est la résultante, c’est, comme vous l’avez dit : Le Québec est faible – il semble que c’est même le constat que fait un de vos ex-conseillers maintenant – à cause de cette stratégie-là.

Malheureusement, il n’a pas pu le dire au peuple au moment de voter, il s’en est aperçu six semaines après l’élection. Mais il dit : Le Québec, à cause de cette stratégie-là, est faible. Et je voudrais vous entendre là-dessus, parce que vous nous dites : Quand le premier ministre du Québec est faible, le Québec est faible. Bien, moi, je le revire de bord, je me dis – je constate comment le gouvernement fédéral nous marche dessus : le Québec, il est faible, ça veut donc dire que notre gouvernement et notre premier ministre sont faibles. C’est le constat que je faisais, et je voudrais vous entendre si vous faites le même.

M. Parizeau (Jacques) : Écoutez, quand un premier ministre reçoit un coup sérieux, comme celui auquel je faisais allusion avec M. Bourassa, et que sa position est affaiblie, le Québec est faible. Mais le Québec n’est pas seulement faible à cause de ça, il y a des fois où le Québec est faible à cause d’une défaite. Si vous croyez un instant que le Québec, après le 30 octobre 1995, est fort… Ça a été une sacrée défaite. Politiquement parlant, le Québec, il porte encore les traces de la défaite référendaire, dans l’esprit d’Ottawa, puisque vous faites allusion à Ottawa. Ils ont eu très peur – ça, ça se comprend, le résultat était trop serré – mais, au bout du compte – c’est comme dans un comté, ça – ils ont gagné, nous avons perdu. En un certain sens, par rapport à Ottawa, ça va peut-être un peu mieux aujourd’hui que ça allait il y a quatre ans, mais cette défaite de 1995, elle pèse de tout son poids. Et ça, ça n’a rien à voir avec le fait que le premier ministre de l’époque était faible ou fort. Enfin, moi, je ne me suis jamais considéré particulièrement comme un premier ministre faible, je n’ai pas eu la réputation de ça, mais j’ai été battu.

Là, le Québec est rentré dans une phase de faiblesse où à peu près tous les coups étaient permis de la part d’Ottawa. Et là – on parlait du plan O, tout à l’heure – le plan B, il ne reflète pas un constat de force du Québec. Mais ça, ça n’a rien à voir avec la politique partisane, là, c’est un fait. C’est un fait, le Québec a subi une défaite importante dans un scrutin dont tout le monde reconnaît que, s’il avait… à quelques dizaines de milliers de voix près, un nouveau pays serait né. Il serait déjà fait, là, à l’heure qu’il est. Ce n’est pas rien. Quand vous vous faites battre sur quelque chose d’aussi important que ça, vous en portez les stigmates longtemps.

Vous voyez, c’est pour ça que je ne veux pas me faire entraîner dans des affaires – comment dire – trop clairement partisanes, parce que ce n’est pas de ça dont on parle. En tout cas, ce n’est pas de ça dont parle le 99 en réponse au C-20. On ne parle pas de est-ce qu’on va être capable de donner un petit coup dans les tibias à un tel ou à un tel, d’un côté ou de l’autre de la Chambre. Ce n’est pas ça qui est en cause. Ce qui est en cause, c’est que, ce qui voudrait consacrer la faiblesse du gouvernement du Québec et de l’Assemblée nationale du Québec, C-20, ils n’auraient jamais osé ça si le Québec avait été fort, fort dans le sens de n’importe quel parti politique que vous voulez choisir, fort dans le sens où les gouvernements du Parti québécois ont été forts, fort dans le sens où Daniel Johnson, le père, a été fort, fort dans le sens où Jean Lesage a été fort. Ils n’auraient jamais osé faire ça.

Et donc, qu’est-ce que nous avons à faire, nous, dans ces conditions ? Nous donner les moyens – et c’est ça, le 99 – de réaffirmer, sur le plan des principes, ce qui est en fait le premier texte constitutionnel d’une constitution d’un Québec quant aux pouvoirs de son Assemblée nationale. Pas quant à l’avenir, ce n’est pas un texte souverainiste, le 99 – évidemment, il rentre dans la problématique souverainiste, puisque C-20 est destiné à le bloquer – mais c’est un texte qui assure les pouvoirs de l’Assemblée nationale et du gouvernement du Québec et s’appuie sur des principes, des principes seulement, que nous avons tous loués, que nous acceptons tous depuis des années et des années et des années. Quand on dit : Il n’y a rien de nouveau, non, il n’y a rien de nouveau, sauf que c’est la première fois qu’on le met dans une loi. Là, on a la possibilité de dire à Ottawa : Vous ne pouvez pas nous traiter n’importe comment. Vous ne pouvez pas chercher à nous imposer une tutelle. Nous n’acceptons pas la tutelle et nous ne reconnaissons pas la légitimité de nous imposer une tutelle, et ça, pour redonner de la force au Québec, ça me paraît très important.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf) :  : Nous en sommes, M. Parizeau, au terme de notre rencontre. J’aimerais vous remercier très sincèrement, au nom des membres de la commission, pour votre contribution à nos travaux. Sur ce, je suspends les travaux jusqu’à cet après-midi, 14 heures. Merci.