Quand les citoyens sont comme les mots du poème

Jonathan Livernois  |  Le Devoir

 

Une fois par mois, Le Devoir lance à des passionnés d’histoire le défi de décrypter un thème d’actualité à partir d’une comparaison avec un événement ou un personnage historique.

Si, dans le Canada français du XIXe siècle, plusieurs politiciens sont également littérateurs, il en va tout autrement depuis le début du XXe siècle, alors que les écrivains deviennent des oiseaux rares en politique. Le parcours de Gérald Godin (1938-1994), poète et député du Parti québécois de 1976 à 1994, est ainsi des plus intéressants. Retour sur cette carrière au moment où l’on entend beaucoup parler de Patrice Desbiens et de Gaston Miron au Salon bleu.

Pendant la campagne électorale de 1976, personne n’aurait misé sur Gérald Godin. Ses chances de l’emporter étaient minces dans la circonscription de Mercier, qui comprenait alors le Plateau-Mont-Royal ainsi qu’une partie du Mile End. La Presse titrait ainsi, quelques jours avant les élections : « Mercier : Bourassa peut dormir en paix ». Le premier ministre du Québec, Robert Bourassa, député de cette circonscription depuis 1966, n’avait guère à s’inquiéter de ce journaliste, poète inconnu du grand public, directeur des Éditions Parti pris, chargé de cours à l’UQAM, alors en grève.

Jonathan Livernois – Photo: Justine Latour

Mais Godin est tout sauf un « candidat poteau ». Il fait une campagne méthodique et frappe aux portes des électeurs, surtout les indécis. Le journaliste et écrivain prend des notes, rend compte de ses rencontres :

« Un matin, rue Gilford, un électeur s’apprête à entrer dans la buanderie. Je m’approche de lui :

— Je suis Gérald Godin, candidat du Parti québécois dans Mercier.

—…

— Est-ce que je peux vous donner la main ?

— Oui, mais pas trop fort.

—…

— Je souffre d’arthrite…

—…

— (Dans un murmure)… et c’est la faute à Bourassa.

 

Un des aspects du porte-à-porte, c’est l’infinie diversité de la nature humaine. »

Emmanuelle Germain
Photo: Julie Bouffard

Le 7 novembre, il écrit à sa conjointe, Pauline Julien, alors en tournée européenne : « J’ai perdu ma bedaine : je grimpe 50 ou 200 escaliers par jour… je marche des milles et des milles, j’ai presque retrouvé mon corps de 22 ans, quand tu m’as connu, à Trois-Rivières. J’ai des milliers de choses à te raconter : mon histoire avec les gens du comté de Mercier se poursuit. C’est absolument extraordinaire ! C’est un peu comme Trois-Rivières : un village, où tout se passe en sous-entendus, en sourires, en clins d’oeil, en paysans normands. Je me sens chez moi dans Mercier comme à Sainte-Anne-de-la-Pérade, avec mon oncle Jean-Marie Marceau. Et ce qui est le plus efficace, comme moyens de conviction et de séduction, car c’est bien ce dont il s’agit, c’est le rire. Une blague, et c’est gagné. »

Et Godin gagne pour la peine, le 15 novembre au soir. Avec une majorité de 3736 votes. Le poète vient de battre le premier ministre. Il a pris sa revanche, dira-t-il plus tard (il emploiera même le mot « vendetta »), sur celui qui l’avait envoyé en prison, six ans plus tôt, pendant la crise d’Octobre.

 

Un poète au gouvernement

À l’Assemblée nationale, Gérald Godin fait l’objet de quolibets. L’anti-intellectualisme et le philistinisme étant toujours à la mode, plusieurs députés de l’opposition s’amusent à reprendre en chambre les vers d’un de ses poèmes, Mal au pays, qui avait même fait l’objet d’une diffusion illégale dans la circonscription de Mercier pendant la campagne de 1976.

 

 

 

 

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