Québec peine à franciser ses immigrants

Québec ne parvient pas à franciser correctement les immigrants, ce qui contribue à l’éloigner progressivement de l’objectif de la loi 101, soit de faire du français la langue commune de ses citoyens, conclut une étude de l’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC).

Speaker_Icon.svg Écoutez l’entrevue de Jean Ferretti à Gravel le matin,  ici.

pdf icon 32 Consultez le Rapport de recherche de l’IREC ici

François Messier | ici RadioCanada
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Le professeur Jean Chen donne un cours de francisation à de nouveaux arrivants Photo : Simon Coutu

Selon l’étude, intitulée le Québec rate sa cible, plus de 200 000 immigrants ne maîtrisaient toujours pas la langue de Molière en 2014, dont 111 000 sont arrivés au pays après 1991, année où Québec a obtenu la responsabilité exclusive en matière d’intégration linguistique.

Les raisons sont multiples, note le chercheur qui a mené les travaux, Jean Ferretti : offre en francisation minée par « son lot d’inefficacité » et par le « désengagement » des ministères concernés, possibilité de vivre à Montréal sans connaître le français et « incohérence » du bilinguisme institutionnel par rapport à l’esprit de la loi 101.

À l’heure où le gouvernement Couillard songe à hausser les seuils d’immigration, M. Ferretti l’invite à la réflexion, en soulignant que 40 % des immigrants ne connaissent toujours pas le français à leur arrivée au Québec.

Pour freiner le déclin des francophones, plaide-t-il, Québec devrait se soucier d’attirer davantage d’immigrants issus de la francophonie internationale ou parlant des langues latines, puisque ces derniers adoptent beaucoup plus facilement le français que d’autres, et plus particulièrement les communautés asiatiques.

« Le Québec a maintenu des seuils d’immigration élevés ces dernières années, mais n’a pas pris les moyens nécessaires pour assurer l’intégration des immigrants à la majorité francophone. »
— Extrait du rapport de l’IREC

« Augmenter la part d’immigrants francophones apparaît comme le moyen le plus efficace d’assurer la pérennité du français », écrit M. Ferretti. Si cet objectif nuit à l’atteinte des seuils d’immigration fixés ces dernières années, dit-il, « Québec devrait alors revoir à la baisse le nombre d’immigrants accueillis annuellement ».

« Plusieurs indicateurs semblent signaler que les capacités d’accueil du Québec sont aujourd’hui dépassées », poursuit-il. « Les pénuries de main-d’œuvre ne sont pas généralisées comme cela a longtemps été avancé et l’augmentation des seuils d’immigration n’a qu’un effet marginal sur le vieillissement de la population ».

Le chercheur souligne du coup que le système d’éducation demeure « la principale source de main-d’œuvre », et que Québec doit donc y investir, continuer à lutter contre le décrochage scolaire et mieux orienter les élèves vers les filières professionnelles.

Dans le même ordre d’idées, Québec « doit mieux soutenir la natalité en favorisant l’accès aux services de garde à prix modique », et « amorcer une réflexion sur une bonification des allocations familiales ».

Les travaux de M. Ferreti à l’IREC ont été financés par la CSN, la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, le Mouvement national des Québécoises et des Québécois et le Mouvement Québec français.

En entrevue mercredi à Gravel le matin, le chercheur a nié que son étude soit « orientée » pour autant. « Moi, j’ai été embauché par l’IREC. On ne m’a mis aucune pression, et je fais l’étude sur les faits des principaux démographes qui ne sont affiliés à aucun organisme. Franchement, c’est une étude factuelle », a-t-il dit.

 

Un Montréal de moins en moins francophone

Dans son étude, le chercheur souligne que « la composition actuelle de l’immigration et sa concentration dans la région métropolitaine de Montréal, où est installée la population anglophone et anglicisée du Québec, créent un effet de milieu qui nuit à la francisation des immigrants et contribue à accroître le clivage entre un Montréal de moins en moins francophone et le reste du Québec. »

« C’est une tendance qui est claire depuis au moins 20 ans, et qui confirme cette espèce de perception que tout le monde a un peu en se promenant à Montréal : que le français recule », a commenté M. Ferretti à Gravel le matin.

Le chercheur reconnaît d’emblée que les enfants des immigrants doivent fréquenter des écoles primaires et secondaires en français, comme le requiert la loi 101. Selon lui, cela ne suffit cependant pas à faire véritablement du français la langue commune.

« Ils ont la possibilité de vivre dans une autre langue, simplement parce la société québécoise a cette particularité qu’il y a une concurrence linguistique à Montréal. C’est-à-dire qu’il y a un groupe suffisant d’anglophones pour que ce soit possible de vivre en anglais. »
— Jean Ferretti

« La connaissance d’une langue ne veut pas nécessairement dire son utilisation. Il y a des gens qui parlent français, mais qui ne l’utilisent pas, parce que, en milieu de travail c’est possible de parler anglais […] On voit que les institutions publiques interagissent beaucoup en anglais avec les immigrants allophones », poursuit-il.

« Dans les interactions publiques, on voit que ça a un impact sur le déclin du français. Une langue commune, ça veut dire une langue que tous partagent, que tous utilisent dans leur interaction. Ce n’est pas tout de connaître une langue, il faut aussi pouvoir la parler. »

Des chiffres provenant de l’étude Perspectives démolinguistiques du Québec et de la région de Montréal publiés par le gouvernement du Québec en 2011 mettent en évidence les différentes perspectives sur l’avenir du français en fonction de la région considérée.

L’étude dressait le portrait de la composition linguistique entre 1971 et 2011 – les chiffres pour cette année étant des projections – et s’avançait sur l’évolution attendue pour les années 2031 et 2056.

Selon cette étude, le nombre de francophones sur l’île de Montréal est passé de 61,2 % à 52,4 % entre 1971 et 2011. Des projections avancent que ce taux pourrait chuter à 47,4 % en 2031, voire à 43,3 % en 2056.

Si l’on tient compte des banlieues nord et sud de Montréal, les chiffres diffèrent considérablement. Le nombre de francophones est plutôt passé de 66,3 % en 1971 à 67,7 % en 2006. Les projections laissent croire que cette proportion pourrait passer à 63,1 % en 2031, voire à 58,3 % en 2056.

Si l’on prend compte, l’ensemble du territoire québécois, la proportion de francophones est passé de 80,8 % en 1971 à 81 % en 2011. Elle pourrait atteindre 77,9 % en 2031 ou 73,7 % en 2056.

 

Des différences communautaires importantes

M. Ferretti est aussi revenu sur les différences qu’entretiennent les communautés linguistiques avec les cours de francisation.

« Évidemment, quand on arrive dans un nouveau pays, le premier objectif c’est de trouver un emploi, d’être capable de subvenir aux besoins de sa famille. Et ça, il faut le comprendre. Je pense que le gouvernement du Québec devrait prendre la mesure de l’enjeu. » — Jean Ferretti

« Après il apparaît qu’il y a quand même une corrélation en fonction de la langue des immigrants, sur la fréquentation au cours de francisation. Déjà que les Latino-Américains parlent beaucoup français avant d’arriver au Québec, ils vont être seulement 22 % à ne pas s’inscrire au cours », explique-t-il.

« Par ailleurs, si on regarde par exemple les immigrants asiatiques, qui parlent beaucoup moins français en arrivant au Québec, le taux de non-fréquentation au cours oscille entre 50 % et même 60 % pour certaines communautés. »

« Ensuite, il faut dire que certains immigrants, notamment les Chinois, bénéficient […] des emplois communautaires dans le réseau de la communauté, ce qui facilite leur intégration sur le marché du travail […] sans nécessairement avoir à parler français. »