Référendum écossais : petits complots entre amis

ALEC CASTONGUAY | L’ACTUALITÉ | 24/08/14

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«Au fil des échanges, les nationalistes écossais ont retenu plusieurs leçons des souverainistes québécois, la première étant la durée de la campagne référendaire. Plus elle est longue, plus il est facile d’expliquer un bouleversement politique aussi complexe, […] Les gens sont moins bousculés. Ils ont le temps de comprendre les chiffres, de digérer les arguments. Nos recherches montrent que plus ils sont informés, plus ils ont tendance à voter oui. »

Depuis des mois, un discret ballet diplomatique se joue entre Ottawa, Londres, Québec et Édimbourg… Les stratégies tirées du manuel canadien sauveront-elles le Royaume-Uni ou feront-elles naître un nouveau pays ? La tension monte dans l’attente du vote du 18 septembre.

Lorsque l’Écossais Alistair Carmichael débarque au Canada, fin avril 2014, il est investi d’une mission secrète dont l’objectif n’est rien de moins que de contribuer à sauver le Royaume-Uni.

Officiellement, le secrétaire d’État pour l’Écosse du gouvernement britannique vient nouer des contacts dans les milieux des affaires de Montréal, Ottawa et Toronto, […] À l’approche du référendum sur l’indépendance de l’Écosse, le 18 septembre, Londres ne souhaite pas ébruiter les manœuvres en coulisses de son état-major.

Alistair Carmichael […] a alors multiplié les rendez-vous avec l’ancien premier ministre canadien Jean Chrétien, le député libéral fédéral Stéphane Dion, le chef de cabinet de l’ex-premier ministre Daniel Johnson, John Parisella, et le ministre conservateur des Affaires intergouvernementales, Denis Lebel.

« Ils veulent savoir ce qu’on a vécu ici, comment on l’a emporté et quels arguments on a utilisés. Quoi faire et ne pas faire », raconte John Parisella, qui a dirigé le comité de liaison entre les politiciens provinciaux et fédéraux dans le camp du Non en 1995.

[…] Depuis la victoire majoritaire des nationalistes du Scottish National Party (SNP) au Parlement d’Édimbourg, en mai 2011, et l’annonce de leur volonté de tenir un référendum sur la séparation de l’Écosse du Royaume-Uni, le ballet diplomatique est incessant dans le quadrilatère Québec-Ottawa-Londres-Édimbourg. Tactiques, arguments, stratégies, réflexions post-référendum… Les nationalistes écossais consultent les souverainistes québécois, les unionistes s’informent auprès des fédéralistes canadiens, tous avec le même espoir : dénicher l’idée qui leur permettra de l’emporter.

Le SNP n’a pas perdu de temps. À la mi-août 2011, à peine trois mois après la victoire électorale du parti, une délégation de souverainistes écossais atterrissait à Montréal pour rencontrer des ténors du camp du Oui québécois de 1995.

Professeur de droit international et constitutionnel à l’Université de Montréal, Daniel Turp a participé à ces rencontres. « Ils veulent comprendre notre expérience ; il n’y a pas eu beaucoup de référendums sur l’indépendance dans les pays occidentaux depuis 20 ans », dit Daniel Turp, qui était à la tête de la commission politique du Bloc québécois en 1995 et qui a assuré le lien entre le Bloc, le PQ et l’ADQ lors du référendum. Il refuse de dévoiler les noms des personnes présentes à ces rencontres. « Ce sont des gens haut placés, je dois respecter leur volonté de confidentialité. »

Au fil des échanges, les nationalistes écossais ont retenu plusieurs leçons des souverainistes québécois, la première étant la durée de la campagne référendaire. Plus elle est longue, plus il est facile d’expliquer un bouleversement politique aussi complexe, affirme Jonathan Mackie, porte-parole de la campagne « Yes Scotland », joint à Édimbourg entre deux rassemblements militants. « Les gens sont moins bousculés. Ils ont le temps de comprendre les chiffres, de digérer les arguments. Nos recherches montrent que plus ils sont informés, plus ils ont tendance à voter oui. »

Le SNP a dévoilé son livre blanc sur la souveraineté en novembre 2013, 10 mois avant le scrutin référendaire. Une brique de 670 pages qui explique dans les moindres détails ce que souhaite négocier et accomplir le gouvernement écossais au lendemain de la victoire du Oui, […] Ce degré de précision aide à promouvoir l’option, et les souverainistes québécois devraient s’en inspirer, affirme Alexandre Cloutier, député péquiste et ancien ministre délégué à la Gouvernance souverainiste, qui a fait plusieurs voyages à Londres et à Édimbourg depuis 2011 pour rencontrer des ministres du SNP et des stratèges souverainistes. « Le contexte référendaire de l’Écosse et celui du Québec sont différents. Leur projet de pays est clair. On a beaucoup à apprendre d’eux », dit-il.

Autre stratégie partagée : mener une campagne positive, à l’image du référendum de 1995 au Québec, avec les pancartes colorées du Oui. « C’est plus facile de mobiliser les gens. Ils sont plus enclins à participer », dit Jonathan Mackie. C’est l’une des raisons pour lesquelles la lutte s’est resserrée, estime-t-il. […]

[…] « À mesure que la lutte se resserre, la campagne devient plus difficile, plus sale. Il faut prévoir ce que l’autre camp fera, voir venir les coups fourrés ! » dit-il [Daniel Turp] en citant le grand rassemblement du Non à Montréal en 1995, le fameux love-in qui avait vu des milliers de Canadiens anglais venir montrer leur attachement au Québec à quelques jours du scrutin. […]

[…] les Anglais ne voient pas le départ possible de l’Écosse comme une tragédie, contrairement aux fédéralistes canadiens en 1995. Cette région représente seulement 8 % de la population de la Grande-Bretagne (contre 25 % pour le Québec à l’époque) et elle ne coupe pas géographiquement le pays en deux. « Le symbole serait fort, on tente vraiment de gagner. Après tout, le bleu sur le drapeau du Royaume-Uni, c’est en référence à l’Écosse ! […]

[…] « Dire la vérité, ce n’est pas mener une campagne de peur » […] Depuis six mois, le camp du Non en Écosse a appliqué cette stratégie : incertitude sur la monnaie commune, exclusion de l’Union européenne, départ possible des chantiers navals militaires créateurs d’emplois, renégociation de certains traités internationaux, etc. Comme à Montréal lors des référendums, les patrons des grandes entreprises sont invités à prendre position contre la séparation au nom du dynamisme économique. Au point que les médias ont révélé qu’elle était surnommée « campaign of fear » (campagne de peur) à l’interne.

Les unionistes tentent maintenant de recentrer leurs actions. « On doit aussi envoyer un message plus positif », reconnaît le ministre Alistair Carmichael dans un échange de courriels avec L’actualité. Le slogan de la campagne du Non, « Better Together » (mieux ensemble), avait d’ailleurs été choisi pour lancer un signal rassembleur.

[…] « Nous croyons que nous avons le meilleur des deux mondes, dit Alistair Carmichael. Un Parlement écossais fort qui a l’autorité sur l’éducation, la santé et les transports, mais dans une économie britannique plus vaste qui peut mieux absorber les chocs. »

« La ligne est mince entre une campagne négative et une campagne fondée sur la vérité. Il ne faut pas laisser penser que le projet souverainiste n’est pas légitime », affirme John Parisella, qui a conseillé à ses interlocuteurs britanniques de changer de ton. « Il faut que le Non devienne un Oui à quelque chose. »

Depuis quelques semaines, les politiciens du camp du Non insistent davantage sur la proposition « dévo max » — pour « dévolution maximum de pouvoirs » —, qui verrait Londres céder plus de terrain politique au Parlement d’Édimbourg au lendemain du référendum en cas de victoire du Non. Une vision autonomiste très populaire chez les Écossais. « Si “dévo max” avait été sur les bulletins de vote, le raz-de-marée aurait été total », affirme une source britannique.

La bataille référendaire est d’ailleurs largement dominée par le partage des pouvoirs politiques, ainsi que par l’économie, notamment la mainmise sur les ressources naturelles et le pétrole. Les nationalistes du SNP jouent très peu la carte identitaire, même si le sentiment d’appartenance à l’Écosse est fort. La langue n’est pas un facteur déterminant. […]

[…] « L’Écosse se perçoit comme une région sociale-démocrate qui veut faire des choix différents d’une Angleterre plus conservatrice », dit Jonathan Mackie.

[…] Les politiciens écossais ne s’affichent pas avec des souverainistes du Québec pour une autre raison, selon Daniel Turp. « Nous avons perdu deux référendums. On peut les comprendre de ne pas vouloir nous donner en exemple. »

Un autre facteur entre dans l’équation : les Écossais du Canada. Cette diaspora compte quatre millions de personnes, largement favorables à l’indépendance de l’Écosse, mais défavorables à celle du Québec. « Alex Salmond ne veut pas les froisser en s’affichant avec les souverainistes du Québec. Il aura besoin d’eux pour faire pression sur le Canada afin que le pays de l’Écosse soit reconnu en cas de référendum gagnant », explique une source diplomatique britannique.

Les camps fédéraliste et souverainiste du Québec ont d’ailleurs donné un conseil identique à leurs alliés d’outre-mer : préparer l’après-référendum, peu importe le résultat.

Les unionistes devraient éviter le statu quo politique et proposer des changements dans la relation entre Londres et Édimbourg, afin d’éviter la menace constante d’un autre référendum — ce que certains ont baptisé « neverendum » (référendum sans fin) —, ont suggéré les fédéralistes. Les souverainistes québécois, outrés par des manœuvres comme le rapatriement de la Constitution, en 1982, et la loi sur la clarté référendaire, en 2000, ont plutôt formulé une mise en garde à leurs amis écossais : si le Non l’emporte, ne pas se faire écraser par les changements politiques qui vont suivre et laisser la porte ouverte à un match revanche.

[…]le message du camp souverainiste à l’endroit des nationalistes écossais s’est fait plus clair et plus pressant : « Gagnez dès maintenant, car vous ne savez pas si, ni quand, l’occasion se représentera. »

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