Réplique à André Pratte : L’aveuglement volontaire

Dans votre éditorial du 30 septembre intitulé L’assimilation imaginaire, vous avez tenté une fois de plus de démontrer que le français au Québec n’est ni menacé, ni en déclin, et qu’il se porte mieux que jamais. Vous affirmez en partant que « depuis la Conquête, les francophones du Canada n’ont cessé de craindre la disparition de leur langue », mais que « jamais elle ne s’est produite. » De 1760 à 2006, la proportion de francophones a chuté de 78 % à 22,1 %. À l’extérieur du Québec, les Canadiens de la langue maternelle française ne forment plus que 4,5 % de la population. Seulement 2,5 % d’entre eux utilisent encore le français à la maison. Le taux d’assimilation des francophones du reste du Canada augmente à chaque recensement (39,3 % en 2006).

Vous déniez qu’une menace d’assimilation pèse sur les Québécois. Selon vous, lorsque j’ai souligné que dans l’ouest de l’île de Montréal, 12 % des francophones de langue maternelle parlent anglais à la maison, j’ai simplement « émincé » les statistiques parmi différentes époques et diverses régions pour trouver « une donnée qui semble montrer que le français est menacé ». En fait, cette donnée provient des travaux du mathématicien Charles Castonguay qui a observé un taux net d’anglicisation des francophones de l’ouest de l’île de 9 % en 1981, de 12 % en 1991 et de 12,3 % en 2006. Dans la partie sud de l’ouest de l’île, qui est composée de six municipalités à majorité anglophone, le taux net d’anglicisation des francophones est de 17 %, et de 88 % pour les allophones. Ce taux est de 28 % chez les jeunes adultes francophones (24 à 34 ans).

Vous avez tenté de minimiser l’importance de ces données en alléguant qu’il y a eu une légère baisse de l’assimilation des francophones dans l’ensemble du Québec (1,6 % en 1971, 1,3 % en 2006). Mais vous avez omis de mentionner que cette baisse apparente est due aux changements du questionnaire de Statistique Canada, comme l’a démontré une étude publiée par l’OQLF en 2005. Par ailleurs, il faut réaliser qu’en chiffre brut, même avec les changements de questionnaire du recensement, en 2006 il y a davantage de francophones anglicisés que d’anglophones francisés au Québec.

D’autre part, vous citez une analyse de Charles Castonguay, selon laquelle dans 15 ans, 90 % des petits Québécois iront à l’école française, pour conclure que malgré la loi 103, le Québec sera de plus en plus français. Mais vous n’avez pas remarqué que les prévisions de Castonguay étaient faites en présumant que la Loi 104 maintiendrait son effet. Avant la Loi 104, qui empêchait qu’on utilise les écoles privées non subventionnées pour contourner la loi 101 (écoles passerelles), l’école française cédait lentement du terrain au réseau scolaire anglais. Mais si la loi 103 est adoptée, la passerelle permettant d’acheter le droit d’enfreindre la loi 101 est maintenue, elle n’est qu’un peu plus étroite et coûteuse. Et de simples modifications réglementaires permettront d’élargir l’accès à l’école anglaise publique au gré des fluctuations du contexte politique.

En fait, à partir d’une analyse globale et rigoureuse de l’ensemble des données et des statistiques comme celle qui a été effectuée récemment par Pierre Curzi et son équipe, on observe que la force d’attraction de l’anglais auprès des allophones sur le territoire du Québec est démesurément plus grande que celle du français, et que cet écart va en s’agrandissant (selon l’indicateur de vitalité linguistique, IVL). Dans l’ensemble du Québec en 1971, le nombre de Québécois de langue maternelle française était à peu près le même que ceux de langue d’usage à la maison, alors que les usagers de l’anglais à la maison étaient de 12 % plus nombreux que les anglophones de langue maternelle, grâce aux transferts linguistiques vers l’anglais. En 2006, le français fait un gain de 9 % alors que l’anglais fait un gain de 29 %. Et cet écart est plus prononcé dans la grande région métropolitaine (5 % pour le français, 39 % pour l’anglais).

La tendance lourde n’est pas du tout que « le Québec sera de plus en plus français ». Les études de prévisions démographiques de Marc Termote, président du Comité de suivi de la situation linguistique à l’Office québécois de la langue française (OQLF), font état d’une minorisation des francophones de toutes origines sur l’île de Montréal et d’une lente érosion du poids démographique des francophones dans l’ensemble du Québec.

La situation du français commande un renforcement majeur de la Charte de la langue française et non pas un affaiblissement des mesures scolaires, qui en constituent le cœur même. Et la plus grande menace pour l’avenir du français est cette tendance à jouer à l’autruche, cet aveuglement volontaire que certains veulent entretenir à tout prix. Il me semble que les fédéralistes québécois auraient avantage à montrer qu’ils sont parfois capables de s’élever au-delà de la joute partisane pour défendre les intérêts fondamentaux de la nation québécoise.

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