par Jean-Pierre Durand
Le parcours de vie de Roger Varin (1917- 2007) va bien au-delà de son seul passage – au demeurant fort court, pour ne pas dire écourté – à la SSJB de Montréal, dans les années d’après-guerre, même si vous comprendrez aisément que nous insistions ici sur cet aspect. D’emblée, il faut vous dire que j’ai lu avec ravissement la biographie que consacre Claire Varin à son père, intitulée Un prince incognito – Roger Varin. Paru chez Fides, en 2012, ce livre – excusez le cliché – se lit comme un roman et je ne saurais trop vous le recommander.
Roger Varin a été tour à tour animateur social, journaliste et homme de théâtre. Il a milité à la Jeunesse étudiante catholique, puis à la Jeunesse agricole catholique; il a cofondé, avec le père Émile Legault, la troupe des Compagnons de Saint Laurent; il a été l’un des instigateurs de la Ligue pour la Défense du Canada (contre la conscription) avec Michel Chartrand et ce riche curriculum ne se veut nullement exhaustif, croyez-moi. Bref, il a été un homme exceptionnel. Les lecteurs de 50 ans et plus retrouveront avec plaisir bien des acteurs connus dans ce livre, comme Jacques Languirand, Pauline Julien, Gaston Miron et combien d’autres, mais les plus jeunes, comme les cégépiens, ne seront pas en reste et découvriront un homme bien moderne en cette époque pourtant trempée dans l’eau bénite.
Dès les premières pages du livre, Claire Varin s’adresse à son père, comme si, du haut du ciel où l’on suppose qu’il est allé, il pouvait l’entendre. Elle travaille sur « son cas », comme elle dit, pour mieux le connaître et le faire connaître, à partir des carnets qu’il a laissés, de ses textes et de sa correspondance, ainsi que des confidences de celui-ci recueillies de son vivant et des témoignages de ceux qui l’ont connu. Même si on sent le profond attachement filial de l’auteure pour son père, c’est tout à l’honneur de Claire Varin de ne jamais verser dans l’hagiographie primaire. Si elle écrit : Père, héros de mon récit, tu as des qualités. Elle peut aussi dire quelques lignes plus loin: Roger, héros de mon livre, tu as des défauts. Et c’est entre autres ce qui fait le charme de ce portrait.
Concernant son arrivée à la SSJB en 1946, il faut savoir que Varin s’était fait avantageusement connaître dans la bataille contre la conscription et c’est donc en connaissance de cause qu’on lui propose le poste de chef du secrétariat de notre Société nationale. C’est le notaire Louis- Athanase Fréchette qui le recrute à ce poste et lui confie en quelque sorte le mandat de « dépoussiérer » la SSJB. Le jeune Varin – il n’a pas encore trente ans – n’a pas froid aux yeux et va s’employer à la tâche avec brio et entrain. Entre autres réalisations à son actif, il proposera qu’au feu de la Saint-Jean- Baptiste de 1946 succède une procession aux flambeaux. C’est un succès. Varin agira aussi comme secrétaire général de la Fédération des SSJB du Canada. Mais son embauche sera de courte durée.
L’année d’après, lors du défilé concocté par Roger Varin, le saint patron des Canadiens français n’est pas personnifié par un enfant en chair et en os comme pour les années précédentes, mais plutôt par une illustration magnifique… et en carton ! Cela déplaît à plusieurs et le Conseil général de la SSJB tiendra Varin responsable de cet « échec » relatif, au point d’envisager de le congédier. Finalement, Varin offrira plutôt sa démission. Selon Claire Varin, derrière cette action hostile à son père, se profile probablement l’ombre de Roger Duhamel. L’auteure, sans chercher à s’étendre sur les par Jean-Pierre Durand rivalités, les factions, le grenouillage propre aux groupes humains (et la SSJB n’en est pas plus vertueuse que quiconque à ce chapitre), rapporte d’ailleurs les paroles de sa mère, l’épouse de Roger Varin, qui soupçonne l’inimitié de certains à la SSJB à l’endroit de son mari, notamment Duhamel: Ton père a institué le Prêt d’honneur, mais il n’est pas reconnu pour ça, car il ne prenait pas l’avantscène. (…) Il a coupé trop vite avec la tradition. (…) Pauvre Roger, il débarque tout nouveau dans une société déjà vieille ! Il chamboulait tout sans prendre le soin de ménager les susceptibilités. Il n’était soutenu par à peu près personne, sauf Fréchette et Tremblay. Il ne prenait pas le temps de se faire valoir. (NDLR : Le texte fait bien entendu référence à Louis- Athanase Fréchette, Arthur Tremblay et Roger Duhamel, qui furent à un moment ou à un autre de l’histoire de la SSJB président ou directeur au sein du Conseil général.)
Après lecture, j’ai trouvé pour le moins dommage que la SSJB n’ait pas su reconnaître la valeur réelle de cet homme et le retenir plus longtemps à son service. Qui sait alors ce qu’il aurait pu nous apporter… Mais la vie est ainsi faite et Roger Varin poursuivra ailleurs sa carrière et relèvera d’autres défis.
L’écrivain Stanley Péan a écrit à propos de ce livre : Avec admiration, certes, mais sans complaisance, dans cette écriture d’une élégance rare, Claire Varin raconte la vie de son père et de sa mère. Ce faisant, elle donne à voir un pays oscillant entre son attachement aux valeurs traditionnelles chrétiennes et sa soif de modernité, un pays qui ne demande qu’à éclore comme un bouquet de fleurs de lys abreuvé d’idées neuves et de grandes espérances. C’est tout dire. Gâtez-vous et procurez-vous ce livre ! •••