S’ouvrir au monde et découvrir la nation

MATHIEU BOCK-CÔTÉ – Le Journal de Montréal – 29 avril 2014

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On entend souvent dire que pour devenir une société normale, le Québec devrait s’affranchir de la question nationale. Elle représenterait un archaïsme dans une société moderne, appelée à s’ouvrir sur le monde. Mais voilà : il suffit d’ouvrir les yeux et de regarder le monde pour voir partout la question nationale vivante et constater qu’elle travaille la carte planétaire. De nouveaux pays naissent régulièrement, des peuples se battent pour voir leurs droits collectifs reconnus, des identités longtemps oubliées finissent par renaître, des nations qui s’étaient laissées piéger par le supranationalisme essaient de regagner leur souveraineté.

Les vingt dernières années sont instructives. Après la chute du communisme, la dislocation de l’URSS a permis à plusieurs nations de renaître politiquement. Il faut dire que c’est justement en puisant dans leur identité qu’elles avaient pu lui résister. […] Il n’est pas dit qu’elles y parviendront, mais elles témoignent d’une chose : les nations, d’une manière ou d’une autre, aspirent à exister en leur propre nom. La nation n’est pas une fiction qu’il s’agirait de dissiper, mais une réalité profonde garante d’une part de permanence dans la vie des hommes.

[…] Mais cette permanence de la nation n’est-elle pas la chose la plus normale qui soit? Contrairement à ce que voudrait une vision superficielle de l’être humain, celui-ci n’est pas fait pour flotter en apesanteur, à la manière d’un nomade perpétuel, sans racines ni pays, sans mémoire ni culture. L’individu désaffilié et désancré est condamné à l’errance existentielle. L’homme a besoin d’ancrages et la nation semble encore aujourd’hui représenter répondre à l’exigence existentielle d’appartenance à un corps politique, pour reprendre la formule du philosophe Pierre Manent. Évidemment, l’enracinement véritable se complète d’un authentique cosmopolitisme. […]

C’est à travers la nation que l’homme s’inscrit dans son époque, qu’il s’enracine, et qu’il peut, dès lors, s’ouvrir aux autres. La mondialisation pousse à bien des égards à l’homogénéisation des peuples, à leur dilution, pour qu’advienne une créature affaiblie, sans culture ni mémoire, convaincue d’être libre, mais parfaitement programmée pour le marché planétaire, la réduisant au statut  de ressource humaine, comme si elle n’avait plus besoin de chez soi. Mais cette liberté vidée de toute appartenance collective serait en fait un pur asservissement à la logique du capitalisme mondialisé, qui pour être bridé, a justement besoin de rencontrer la nation, qui le civilise et le discipline, en rappelant que l’homme n’est pas qu’une unité économique et que l’existence collective doit accueillir les aspirations humaines au-delà des seuls désirs matériels.

Ceux qui chez nous s’entêtent à présenter les souverainistes comme des étroits d’esprit qui n’auraient jamais sorti de leur patelin ont tout faux. À bien des égards, le provincialisme intellectuel, le vrai, consiste à croire que l’ouverture au monde du Québec passe inévitablement par la médiation canadienne, comme s’il avait besoin d’une béquille pour existentielle. Comme si le Canada était le monde et que le Québec était condamné à  l’insignifiance sans lui. Le souverainisme québécois passe certainement de mauvais moments, mais ceux qui invitent ses militants à regarder ailleurs sur la planète pour se convaincre d’abandonner la cause risquent d’être déçus : c’est en s’ouvrant  au monde qu’on découvre la nation.

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