Soyons fiers de ce drapeau!

Steve E. Fortin | Journal de Montréal

 

 

Il y a 71 ans aujourd’hui, le Québec remplaçait le « Union Jack » par le fleurdelisé. La nation québécoise allait désormais se représenter au monde par la croix blanche et les quatre fleurs de lys. 

En ce Jour du drapeau, il importe de rappeler qu’il nous faut, collectivement, être fiers de ce drapeau, sans égards à nos inclinaisons politique ou nos origines. Ce drapeau est celui de tous les Québécois; il nous lie à notre passé, il nous rassemble dans le présent, il nous projette dans le futur aussi.

Ce drapeau, c’est l’emblème de la survivance d’une nation francophone en Amérique; une nation qui a bravé bien des tempêtes, une nation traversée de doutes parfois, mais une nation au « front de beu » capable d’assurance et de grandes choses.

Depuis qu’elle a hissé ce drapeau, cette nation a vécu des moments de noirceur et l’exaltation des changements soudains. Elle a la révolution tranquille cette nation, elle qui préfère la quiétude à la chicane, la bonne entente plutôt que le conflit.

De la noirceur à la modernité, cette nation, en bien peu de temps, doit-on le rappeler, s’est ouverte sur le monde, s’est diversifiée, s’est enrichie de la présence et des savoirs de tous les coins du monde.

Sa capacité d’accueil est l’une de ses plus belles qualités. Cette nation qui aime se montrer au monde, qui fait toujours de la place aux autres, tout en étant fière de son patrimoine, de ses racines, de ce long chemin parcouru, par hivers rigoureux, par la sueur de ceux qui ont défriché ses terres de roches et dérivé les rivières pour inventer un courant bien à elle.

 

De grandes choses vous dites!

La plus belle façon d’honorer ce drapeau, c’est d’être fier de la nation. C’est aussi, et surtout, de nous assurer de partager cette fierté avec ceux qui arrivent chez nous. Être fiers de notre langue, de notre patrimoine, de notre histoire, de nos reels, de nos légendes mais également du métissage et de l’apport de l’autre…

Le Québec de demain, je l’espère, sera « métissé serré », francophone et pluriel. On y célèbrera la poésie de Miron, le génie de Laferrière, celui de Bissoondath et de Thuy. On se souviendra de son folklore, de ses racines, de Boudreault, de Allard, mais aussi de ceux qui ont métissé ce folklore jusqu’à lui faire traverser époques et océans. Vous connaissez le musicien-virtuose Jean-François Bélanger?

Soyons fiers de ce drapeau, projetons-le dans l’avenir, rendons-le attrayant pour ceux que l’on accueille, portons-le et montrons-le à la face du monde. Il le mérite.

 

Gaston Miron

Dans un texte publié en 2007 sur la poésie de Gaston Miron, l’enseignant Pascal Chevrette avait qualifié l’œuvre de cet auteur d’antidote au cynisme :

« Comment parvenir à entendre le verbe de Miron dans le climat de cynique morosité et de repli sur soi individualiste qui caractérisent le monde d’aujourd’hui ? C’est parce que je suis convaincu que la poésie de Miron peut offrir un remède au cynisme que j’ai voulu que la fin de notre étude de ce poète serve de prétexte à commenter le monde actuel. »

Pour célébrer ce drapeau, ce texte magnifique du poète Gaston Miron, Compagnon des Amériques, tiré du recueil L’homme rapaillé.

 

 

Compagnon des Amériques

 

Québec ma terre amère ma terre amande
ma patrie d’haleine dans la touffe des vents
j’ai de toi la difficile et poignante présence
avec une large blessure d’espace au front
dans une vivante agonie de roseaux au visage

 

je parle avec les mots noueux de nos endurances
nous avons soif de toutes les eaux du monde
nous avons faim de toutes les terres du monde
dans la liberté criée de débris d’embâcle
nos feux de position s’allument vers le large
l’aïeule prière à nos doigts défaillante
la pauvreté luisant comme des fers à nos chevilles

 

mais cargue-moi en toi pays, cargue-moi
et marche au rompt le cœur de tes écorces tendres
marche à l’arête de tes dures plaies d’érosion
marche à tes pas réveillés des sommeils d’ornières
et marche à ta force épissure des bras à ton sol

 

mais chante plus haut l’amour en moi, chante
je me ferai passion de ta face
je me ferai porteur de ton espérance
veilleur, guetteur, coureur, haleur de ton avènement
un homme de ton réquisitoire
un homme de ta patience raboteuse et varlopeuse
un homme de ta commisération infinie

 

l’homme artériel de tes gigues
dans le poitrail effervescent de tes poudreries
dans la grande artillerie de tes couleurs d’automne
dans tes hanches de montagnes
dans l’accord comète de tes plaines
dans l’artésienne vigueur de tes villes
devant toutes les litanies

 

de chats-huants qui huent dans la lune
devant toutes les compromissions en peaux de vison
devant les héros de la bonne conscience
les émancipés malingres

 

les insectes des belles manières
devant tous les commandeurs de ton exploitation
de ta chair à pavé
de ta sueur à gages

 

mais donne la main à toutes les rencontres, pays
toi qui apparais
par tous les chemins défoncés de ton histoire
aux hommes debout dans l’horizon de la justice
qui te saluent

 

salut à toi territoire de ma poésie
salut les hommes et les femmes
des pères et mères de l’aventure

 

 

SOURCE