Un déni malsain de la francophobie de la part des médias anglophones

Paul St-Pierre Plamondon,  Anne De Ravinel et  Jean-François Gingras
publié dans le Devoir,  le 20 décembre 2013

Le regroupement « Uni(e) s contre la francophobie » publiait jeudi dernier une déclaration, parallèlement à laquelle était répertoriés un nombre impressionnant de propos stigmatisants, intolérants et parfois haineux envers les Québécois francophones, issus des médias traditionnels, des médias sociaux ainsi que de lieux publics. Les termes qui reviennent le plus régulièrement dans ces trente pages de citations sont les mots « xénophobes », « suprématistes », « nativistes », et « anglophobes ». Quant au Parti québécois, on y retrouve plusieurs références au nazisme de même que des menaces très violentes à l’endroit de notre première ministre. S’il ne fait aucun doute que le manifeste provient de groupes qui cherchent à promouvoir la souveraineté du Québec et si nous croyons que les cas répertoriés ne démontrent pas tant une phobie mais bien de l’intolérance et une stigmatisation, il n’en demeure pas moins que la véracité des propos rapportés ne fait elle non plus aucun doute. L’ampleur et la véhémence du Quebec bashing consignées devraient inquiéter les Québécois, mais, à notre avis, c’est davantage la réplique des médias concernés à ce même manifeste qui devrait nous inquiéter.

Photo : Jacques Nadeau - Le Devoir
Le regroupement « Uni(e)s contre la francophobie » compte notamment dans ses rangs Mario Beaulieu (à gauche), président de la Société Saint-Jean-Baptiste, l’ex-premier ministre Bernard Landry (2e à gauche) et l’ex-député Pierre Curzi (à droite).

 

Écrits inquiétants

Dans son texte intitulé « Parcourir les toilettes pour la francophobie », Graeme Hamilton, du National Post, tourne la notion de Quebec bashing en ridicule en mettant l’accent sur les graffitis de toilettes et quelques autres exemples du manifeste — lesquels ne constituent en fait pas du bashing —, suggérant que la déclaration ne s’appuie que sur des cas marginaux venant de « têtes de noix » anonymes. Il en rajoute finalement une couche en concluant que le manifeste constitue en lui-même de l’anglophobie. Dans un texte fort similaire intitulé « Je suis désolé de me vanter, mais… », Don Macpherson de The Gazette tourne en dérision les signataires de l’initiative en les appelant les « Bernies », se félicite d’avoir été souvent mentionné dans le manifeste et s’attaque à la crédibilité de certains des signataires. Il conclut quant à lui que le manifeste est la version québécoise du maccarthysme.

Quelques constats s’imposent à la lecture de ces deux répliques. Premièrement, elles reproduisent en tout point le stratagème du Quebec bashing, qui consiste à apposer une étiquette négative ou dérisoire sur un débat, sur une personne, ou sur un groupe de personnes de manière à leur enlever toute crédibilité et ainsi éviter un débat de fond sur des arguments rationnels et bien intentionnés.

Ainsi, ce n’est pas le fait en soi de critiquer le Parti québécois ou une politique gouvernementale qui pose problème. Plusieurs Québécois, dont les soussignés, sont inquiets de la tournure du débat sur la charte des valeurs et très mal à l’aise devant sa mise en marché à titre de « valeurs québécoises ». Le problème vient plutôt du fait que la stigmatisation diffamatoire remplace l’argumentaire de façon régulière : le Quebec bashing sévit également lorsqu’on évoque nos programmes sociaux, nos finances publiques, des décisions d’associations sportives ou de l’administration de Montréal.

Deuxièmement, ces répliques publiées dans d’importantes entreprises de presse nient un problème criant et sérieux. Sur le plan démocratique, non seulement cette intimidation constante sape le débat sur le fond, mais elle crée de la haine qui rend impossible le dialogue.

Sur le plan économique, nous devons aussi nous pencher sur l’incidence probable d’une telle dévalorisation publique continue. Ressources humaines Canada affirme que les composantes du succès d’un entrepreneur sont la confiance en soi, l’optimisme et la communication de son enthousiasme. Comment une nation peut-elle exhiber ces qualités lorsqu’elle est constamment diminuée dans son propre pays ?

 

Insultes et commentaires haineux

Finalement, nous constatons que les multiples commentaires des lecteurs du National Post en réaction au texte de M. Hamilton sont non équivoques et nous invitons tous les Québécois à les lire. En constatant les centaines d’insultes et de commentaires haineux envers les Québécois que son article suscite, M. Hamilton sait ou doit savoir que ses écrits exacerbent un racisme et une intolérance patents, lesquels, dans leur essence, reprennent une stigmatisation appuyée par le média lui-même. Mais plutôt que d’assumer ses responsabilités et de dénoncer l’intolérance, il choisit de nier le problème et d’en remettre une couche. Nous devrions nous pencher sur l’absence d’encadrement déontologique de ces médias, qui choisissent d’encourager le Quebec bashing pour vendre le plus d’exemplaires possible, tout autant qu’il faut s’inquiéter des sentiments envers le Québec que portent ceux qui les achètent. Ces chroniqueurs ne peuvent se faire les apôtres de la lutte contre l’intolérance et le racisme et en faire simultanément la promotion lorsqu’il s’agit d’attaques contre les Canadiens français et Québécois

Le manifeste contre la francophobie fait-il partie d’une tactique d’un mouvement souverainiste ? Fort probablement. Il demeure que le phénomène est réel et la tâche de lutter contre ce phénomène à sa racine dépasse le clivage entre fédéralistes et souverainistes. Il y a lieu de se demander à quoi peut bien ressembler la perspective d’un fédéralisme canadien renouvelé dans un contexte de banalisation ou, pire, de promotion du Quebec bashing.

  Il est impératif pour tous les Québécois, francophones comme anglophones, de ne pas s’embourber dans les injures. La première étape de cette lutte contre l’intolérance est de dénoncer et de combattre la complaisance, peu importe le débat et peu importe qui en est la cible.

 

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