Karl Rettino-Parazelli | Le Devoir
La Cour fédérale a entamé mardi l’audience finale d’une cause aux accents linguistiques qui sera déterminante pour l’ensemble des employés fédéraux au Canada. L’issue de la bataille judiciaire menée par un fonctionnaire fédéral basé à Montréal devrait permettre de savoir pour la première fois comment le gouvernement fédéral doit garantir à ses travailleurs le droit de travailler dans la langue officielle de leur choix.
Bravant le froid en ce mardi matin dans le Vieux-Port de Montréal, André Dionne a pris la parole entouré d’une dizaine de manifestants défendant la langue française.
« Ce n’est pas de gaieté de coeur que je suis ici, portant ma cause devant le tribunal », a lancé ce gestionnaire du Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF), avant d’entrer dans la salle d’audience de la Cour fédérale du Canada pour assister aux dernières représentations des avocats avant que le juge Peter B. Annis rende une décision fort attendue.
C’est étonnant qu’on n’ait pas vu ces enjeux soulevés avec toutes ces années
— Peter B. Annis, juge à la Cour fédérale
Le test des tribunaux
En 2010, M. Dionne a adressé une plainte au Commissaire aux langues officielles (CLO) en affirmant ne pas avoir pu exercer son droit de travailler en français au cours de sa carrière au sein du bureau montréalais du BSIF.
Le plaignant a fait valoir que les gestionnaires du bureau de Montréal doivent rendre compte chaque jour à des directeurs anglophones établis à Toronto et que la communication doit donc se faire presque exclusivement en anglais.
Dans son rapport d’enquête, le CLO a reconnu en 2014 que « certaines pratiques de longue date nuisent toujours à l’emploi du français dans le milieu de travail par les employés du bureau régional de Montréal », mais M. Dionne a estimé que cet avis n’a pas permis de faire bouger les choses.
Il a donc déposé en mai 2015 une poursuite contre le BSIF pour que les tribunaux se penchent pour la première fois sur les dispositions de la Loi sur les langues officielles qui concernent la langue de travail.
Selon cette loi, les organismes fédéraux doivent notamment veiller à ce que « leur milieu de travail soit propice à l’usage effectif des deux langues officielles tout en permettant à leur personnel d’utiliser l’une ou l’autre ».
« Ce sont des dispositions qui n’ont jamais été testées auparavant devant les tribunaux canadiens, donc la cause risque de faire jurisprudence », fait remarquer M. Dionne. « C’est étonnant qu’on n’ait pas vu ces enjeux soulevés avec toutes ces années », a d’ailleurs glissé le juge Annis mardi au moment de commencer l’audience.
Argumentaires différents
La première des deux journées d’audience a permis aux avocats d’André Dionne de défendre le point de vue de leur client. Ils ont essentiellement plaidé que le français est la langue officielle du Canada au même titre que l’anglais et qu’il doit exister une « égalité réelle » entre les deux langues. Le fait qu’un employé soit bilingue ne peut pas être un prétexte pour bafouer ses droits, ont-ils fait valoir.
Mercredi, ce sera au tour du BSIF d’exposer son argumentaire. Dans ce dossier, il soutient que des mesures ont été mises en place à la suite du rapport du CLO et que les exigences de la Loi sur les langues officielles sont satisfaites.
Le Commissaire aux langues officielles aura également l’occasion de se faire entendre, puisqu’il a obtenu le statut d’intervenant.
« La détermination de la portée des obligations linguistiques qui incombent au BSIF en vertu de ces dispositions aura […] un impact important sur l’ensemble des institutions fédérales », a écrit le CLO dans un mémoire déposé en février dernier.
Présent mardi devant l’édifice montréalais de la Cour fédérale pour appuyer André Dionne, le porte-parole du Bloc québécois en matière de langues officielles, Mario Beaulieu, espère quant à lui que cette cause incitera les Québécois à se mobiliser à nouveau pour défendre leur langue.
« Pour moi, la Loi sur les langues officielles, c’est un échec. Ça aboutit à l’assimilation des francophones hors Québec et au Québec, dit-il. Il faut se réveiller. »