Un lundi patriotique

Lettre d’opinion de Gilles Proulx, dans le Journal de Montréal, publié le 18 mai 2012

La Ville de Montréal continue d’honorer d’un nom de rue le pionnier de la guerre biologique que fut le général Amherst avec ses couvertures contaminées à la variole pour exterminer les Amérindiens. Pourtant, c’est le nom de Dollard des Ormeaux qui est entaché injustement d’infamie. Au début du nouveau millénaire, le PQ au pouvoir a même rebaptisé la fête nommée en son honneur en « fête des Patriotes »… Au moins, on n’est pas revenu à la fête de la Reine (ou Victoria Day en anglais).

J’en entends déjà dire que j’exagère au sujet du baron Amherst, mais non : « Vous feriez bien d’essayer d’infecter les Indiens avec des couvertures, ou par toute autre méthode visant à exterminer cette race exécrable », a bel et bien écrit ce saint homme de notre toponymie montréalaise. Voilà sans doute pourquoi l’administration de « Gerry » Tremblay tarde à trouver une rue pour honorer le terrible et odieux Alfred Bessette, dit Frère André. Quant à Dollard des Ormeaux, il a perdu sa journée en raison de médisances sans fondement à son endroit.

Imaginez-vous donc que lundi prochain, à l’occasion du Gala des Patriotes 2012, le Rassemblement pour un pays souverain va me faire l’honneur de me décerner le prix Chevalier-De-Lorimier. Ne me demandez pas ce que j’ai bien pu faire pour mériter ça ! De Lorimier est un héros national, nous lui devons une fière chandelle, puisqu’il est un pionnier de la démocratie dont nous bénéficions présentement. Il est mort, assassiné par le pouvoir britannique, en 1839, à l’âge de 36 ans seulement ! C’est exactement la moitié de mon âge ! J’ai vécu deux fois plus longtemps, mais en ai-je fait plus que lui pour notre nation ? Non.

Qui est ce Chevalier De Lorimier ? C’est un homme qui fait mentir le cliché voulant que les notaires soient des gens peu aventureux. Notaire de profession, né dans le village de Saint-Cuthbert, en 1803, idéaliste, nationaliste et épris de liberté (un mot qui avait alors encore un sens), De Lorimier se rangea derrière Louis-Joseph Papineau, qui réclamait un gouvernement responsable.

François-Marie-Thomas de Lorimier reçut comme un gifle le refus de Londres d’accorder à Papineau ce qu’il réclamait. Pire : Londres affermissait le pouvoir de Britanniques non élus sur le trésor public canadien ! C’est alors que De Lorimier se joint aux Fils de la Liberté, qu’il reçoit une balle et qu’il devient, aux yeux du gouverneur Gosford et des fanatiques du Doric Club, un hors la loi ennemi de la Couronne.

Après le désastre de Saint-Eustache et la mort de Jean-Olivier Chénier en 1837, Chevalier de Lorimier se réfugie aux États-Unis. En 1838, il prépare avec Louis-Joseph Papineau une nouvelle insurrection contre la Couronne… Après la défaite de Nelson à la Bataille d’Oddeltown, De Lorimier tente de regagner les États-Unis, mais il se fait capturer et détenir à la célèbre prison montréalaise Au Pied du Courant. Les Britanniques s’assurent qu’il soit jugé selon la loi martiale afin de lui ôter toute chance de ne pas finir au gibet. Il est pendu le 15 février 1839. 15 février 1839 : tel est le titre du magnifique et émouvant film de Pierre Falardeau, dont Chevalier De Lorimier, joué avec brio par Luc Picard, est le protagoniste.

Brillant écrivain, les dernières lignes du testament politique de De Lorimier sont celles-ci : « Je n’ai plus que quelques heures à vivre, et j’ai voulu partager ce temps précieux entre mes devoirs religieux et ceux dus à mes compatriotes. Pour eux je meurs sur le gibet de la mort infâme du meurtrier, pour eux je me sépare de mes jeunes enfants et de mon épouse sans autre appui, et pour eux je meurs en m’écriant : Vive la liberté, vive l’indépendance ! »

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