Un outrage, OUI, VRAIMENT.

 

Répliquant ce matin à notre lettre du 20 avril, messieurs Jean Leclair et Michel Morin de la Faculté de droit de l’Université de Montréal, s’affairent à banaliser et relativiser l' »outrage » infligé au peuple québécois par le diktat constitutionnel de 1982.

Portant la signature de deux professeurs respectés, ce texte a, pour ainsi dire, valeur pédagogique.

En effet, voilà un exemple éloquent de la manière dont une partie de notre intelligentsia a fait siens, avec le temps, les codes du langage de la Loi constitutionnelle de 1982. Cela, jusqu’à perdre complètement le sens de la moralité politique en sacrifiant sur l’autel des droits individuels, les intérêts fondamentaux de la nation québécoise.

Pourtant, qui a dit que les Québécois et la nation québécoise ne pouvaient cohabiter? Qui a dit que le combat de la nation québécoise devait nécessairement invalider celui des individus, ou vice-versa?

 

Mépris de la nation

Voyez tout d’abord le mépris qu’affichent les auteurs à l’égard de ladite nation.

Chaque fois qu’ils en parlent, c’est pour l’emprisonner entre guillemets, comme pour s’en dissocier ; cacher ces mots sales et puants qu’on ne saurait lire ; les tenir à distance du vocabulaire acceptable à la manière d’une couche pleine…

La nation québécoise est une abstraction, disent-ils. Ainsi, pour Leclair et Morin, défendre la cause québécoise, dénoncer les injustices et les agressions dont nous sommes, oui, « victimes », – car c’est bien la triste réalité, tout cela serait futile ; pire, tout cela « travestirrait la complexité de l’identité individuelle » des Québécois, en plus de les « dépersonnaliser ». Ouf!

En somme, qui serions-nous pour oser parler de la «  »nation » », de ses droits, de ses blessures, de ses espoirs?..

Mais alors, je rétorquerais : qui sont donc messieurs Leclair et Morin pour parler au nom de tout un chacun?

N’en déplaise aux deux professeurs, il ne leur appartient pas de définir l’étendue ou les limites des droits dont jouissent individuellement les Québécois. Cette décision devrait normalement découler de la volonté des principaux intéressés, c’est-à-dire de tous ces individus réunis.

Hé bien! « Tous ces individus réunis », cela s’appelle «  »la nation » » ; -« le peuple en corps », si vous préférez…

Lui seul peut légitimement et démocratiquement déterminer, à travers les institutions qui lui appartiennent en propre, le régime de son État et les balises du contrat social liant entre eux les individus qu’on appellera alors « citoyens ».

Cependant, voyez-vous, l’Histoire en a voulu autrement. Le fait est que ni les Québécois, ni la malmenée «  »nation québécoise » » n’ont pu décider à ce jour de ce qui leur conviendrait. D’autres l’ont fait à leur place et contre leur volonté.

 

Mépris de la démocratie

C’est un outrage, oui, vraiment.

Théoriquement, dans une société libre, démocratique (et respectueuse du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes), cet outrage ne saurait se justifier d’aucune façon. Mais, au Canada, où l’existence en droit du peuple québécois ne fait l’objet d’aucune reconnaissance mais au contraire d’une contestation judiciaire appuyée par Ottawa (réf. affaire de la Loi 99), il s’en trouvera toujours pour justifier l’injustifiable… Ceux-là, l’un de mes prédécesseurs, Gilles Rhéaume, les avait jadis qualifié à juste titre… de traîtres.

Si je le réitère, c’est que les auteurs semblent faire implicitement référence à cet épisode lorsqu’ils écrivent : « Toutefois, à moins d’élever les députés québécois siégeant à Ottawa en 1982 au rang peu enviable de traîtres, il faut bien admettre que l’exercice était le fruit d’un processus démocratique. »

Processus démocratique, mon oeil!

Tout le monde sait bien que les députés fédéralistes à Ottawa, provinssent-ils du Québec, sont liés par des lignes de parti cohérentes avec l’intérêt politique du Canada… S’ils tiennent à leurs privilèges, ils ont certes intérêt à voter dans le même sens que leur chef. En l’occurence, leur chef était Pierre Elliott Trudeau ; leur ligne de parti était celle du PLC. Or, les membres proviennent majoritairement du Canada anglais.

S’il y a bel et bien une « démocratie » (demos cratos) au Canada, d’une certaine manière elle ne s’applique pas vraiment au demos québécois… Sachant que ce demos québécois n’a pas le cratos de disposer lui-même de son avenir, étant systématiquement subordonné au demos canadian. Autrement, s’il existait en ce pays une véritable démocratie « fédérale » respectueuse du peuple québécois, les choses seraient différentes, à commencer par le respect envers l’Assemblée nationale du Québec. Car, cette institution, aussi imparfaite soit-elle, demeure le seul collège de représentants politiques sur cette terre où la volonté québécoise puisse s’exprimer seule, c’est-à-dire par et pour elle-même, sans autre mandant que le peuple québécois.

 

Mépris de la vision québécoise

Certes, dans certains milieux universitaires bien engraissés aux subventions de recherche fédérales, on pourra toujours ergoter sur la valeur principielle des garanties consacrées par la Charte canadienne des droits et libertés, telle qu’enchâssée dans la Constitution… Mais, cela ne change rien à ce cruel constat : que ce document n’est pas le nôtre ; qu’il nous est étranger, au même titre que les constitutions française, américaine, nord-coréenne, car nous ne l’avons jamais ratifié…

Sait-on, si les Québécois avaient eu l’opportunité d’exprimer librement leur volonté constituante, le résultat eût peut-être été encore plus brillant que ce qui nous a été imposé par Trudeau et sa bande… L’adoption, plusieurs années avant la Charte canadienne, de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, montre bien ce dont nous sommes capables.

À cet égard, les professeurs se méprennent radicalement dans le parallélisme qu’ils tracent entre ces deux lois, censé nous faire adhérer davantage aux dispositions de la première…

Certes, au plan des droits de la personne, les similitudes sont frappantes. Les deux chartes se révèlent également cohérentes avec les grands instruments de droit international. Mais contrairement à l’article 27 de la Charte canadienne, nulle part dans la Charte québécoise n’édicte-t-on que « toute interprétation de [ses dispositions] doit concorder avec l’objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens »…

Ce n’est pas un détail. Rejetée par le Québec, la vision multiculturaliste canadienne s’est néanmoins imposée à lui, jusqu’à teinter l’ensemble de notre droit qui doit désormais être lu, lui aussi, à la lumière de ces principes. Et au diable le biculturalisme!, et au diable les deux peuples fondateurs!, – ces chimères auxquelles on a cru pendant si longtemps, comme pour surcompenser symboliquement l’impuissance à laquelle nous a réduits notre statut de province.

D’autre part, faut-il rappeler que la Charte canadienne était destinée dès le départ et a eu pour effet de contrer directement certaines des dispositions les plus fondamentales de la Loi 101, lesquelles se sont ainsi vues massacrer à la tronçonneuse au fil du temps par les tribunaux. Les Frédéric Bérard de ce monde auront beau prétendre le contraire, l’entrée en vigueur de la Charte canadienne et la jurisprudence constitutionnelle qui en a découlé ont véritablement affaibli la capacité du Québec à protéger sa langue officielle, le français, sur son territoire.

Mépris de l’aspiration à la dignité
Rares sont les peuples qui évoluent sous l’empire d’une constitution qu’ils n’ont pas eux-mêmes adoptée. Par définition, les constitutions, ces lois suprêmes, devraient être l’oeuvre des peuples ; le résultat de l’exercice de leur volonté légitime.

Ce n’est pas pour rien qu’au paragraphe 21(3) de la Déclaration universelle des droits de l’homme, il est dit que « [l]a volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics. » On pourra toujours jouer avec les mots, on pourra toujours s’encombrer dans les avocasseries ; toujours est-il que cette constitution canadienne, si elle suscite l’enthousiasme du peuple canadien, elle ne se fonde absolument pas sur la volonté du peuple québécois. Plutôt, elle la contredit, elle la nie, tout comme elle nie l’existence même du peuple où repose cette volonté.

La blessure de 1982 ne se refermera pas, car les dispositions de cette loi constitutionnelle sont, prises ensemble, de longs couteaux enfoncés dans le libre exercice de notre volonté, que les adversaires du Québec français se plaisent à remuer pour nous faire plier.

Il faudra bien, le plus tôt possible, nous débarrasser de ce saignoir qui nous affaiblit un peu plus chaque jour qui passe. Il faudra bien, le plus tôt possible, que notre volonté se traduise en Acte.

 

Signature Maxime Laporte

Me Maxime Laporte
Président général
Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal