Une longue réhabilitation

Article de Pierre Vallée paru dans Le Devoir du 22 mai 2010.

Exit la reine Victoria et Dollard des Ormeaux. Le congé férié et chômé du premier lundi précédant le 25 mai se nomme aujourd’hui la Journée nationale des Patriotes. Mais il en a fallu du temps et des efforts pour en arriver là.

C’est le 20 novembre 2002 que le gouvernement du Québec, dirigé par Bernard Landry, proclame par décret la Journée nationale des Patriotes. Quelques jours plus tard, lors de la commémoration annuelle des Patriotes à Saint-Denis-sur-Richelieu, Bernard Landry reprend dans son allocution le texte du décret qui déclare que «dorénavant la Journée des Patriotes soit désignée la Journée nationale des Patriotes et que ce jour férié soulignera la lutte des Patriotes de 1837-1838 pour la reconnaissance nationale de notre peuple, pour sa liberté politique et pour l’obtention d’un système de gouvernement démocratique».

Il répond ainsi favorablement à une démarche entreprise 15 ans plus tôt pour créer un jour férié en mémoire des Patriotes. En effet, c’est en 1987, sous l’impulsion du Club souverain de l’Estrie, que naît ce projet. «Notre première démarche fut de nous trouver des alliés», explique Alcide Clément, membre du Club souverain de l’Estrie et l’un des acteurs-clés de cette mouvance pour une Journée nationale des Patriotes. D’emblée, les mouvements nationalistes, telle la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, emboîtent le pas.

«Nous avons ensuite organisé une vaste consultation à travers tout le Québec dans les écoles secondaires, les cégeps, les universités, auprès des syndicats, des partis politiques et des artistes.» Le résultat de cette démarche est une pétition réunissant

1 116 000 signataires en faveur d’une Journée nationale des Patriotes. C’est cette mouvance populaire qui vient à bout des dernières résistances. «Avant cette pétition populaire, les politiciens avaient de la difficulté à se mouiller.»

Le choix de la date, en mai plutôt qu’en novembre, mois où eut lieu la rébellion, repose sur deux considérations. «La première, c’est que, pour toute une série de raisons, il était impossible d’ajouter un nouveau congé férié au calendrier. Comme la date de mai était plutôt flottante, ni fête de la Reine ni tout à fait fête de Dollard, c’est cette date qui fut retenue.» La seconde considération est d’ordre idéologique. «Nous ne voulions pas célébrer ni la violence ni la guerre. En choisissant la date en mai, on venait ainsi honorer la démarche démocratique des Patriotes qui a eu lieu tout l’été ayant précédé l’insurrection. La démocratie est une valeur importante et les Patriotes ont donné leurs vies pour elle.»

Lente remontée

Pendant de nombreuses années après les événements de 1837 et 1838, il n’est guère question des Patriotes dans le Canada français d’alors. «La mémoire des Patriotes est complètement oblitérée, explique Gilles Laporte, professeur d’histoire au cégep du Vieux-Montréal. Tout ce qui reste de cette époque, c’est la fuite de Papineau.»

En novembre 1858, l’Institut canadien érige un monument en l’honneur des Patriotes au cimetière Notre-Dame-des-Neiges. Il faudra attendre la publication en 1884 du livre de l’avocat et journaliste Laurent-Olivier David, Les Patriotes, pour que ces derniers commencent à retrouver une plus grande légitimité. «Laurent-Olivier David est le premier écrivain à vouloir réhabiliter la mémoire des Patriotes. Son travail a servi beaucoup à cette réhabilitation. Le poète Louis Fréchette y contribue aussi, puisqu’il consacre plusieurs poèmes à la mémoire des Patriotes dans La Légende d’un peuple, publié en 1887, lors du cinquantenaire des événements.» Dans les années qui suivent, l’apport des Patriotes sera à nouveau souligné à quelques occasions. Par exemple, en 1926, la procession de la Saint-Jean-Baptiste à Montréal honore leur mémoire.

La seconde étape importante dans la réhabilitation des Patriotes survient en 1937, année du centenaire, lors de la parution de l’ouvrage de l’historien Gérard Filteau, Histoire des Patriotes, qui demeure même aujourd’hui, selon Gilles Laporte, un ouvrage essentiel pour qui s’intéresse aux Patriotes. «À cette époque, le Québec est divisé en deux groupes: les bleus, à qui s’identifie par exemple l’Institut canadien, plutôt favorables aux Patriotes, et les rouges, plutôt défavorables puisque le clergé y opposait une fin de non-recevoir à cause des propos anticléricaux des Patriotes. Gérard Filteau a cherché à réhabiliter auprès des rouges la mémoire des Patriotes.»

Révolution tranquille

La période de Maurice Duplessis fait à nouveau passer sous silence les Patriotes. Ces derniers par contre reprennent de la popularité au début des années 1960. C’est alors que s’installe l’idée de commémorer annuellement les Patriotes. «La date retenue est celle du dimanche précédant le 23 novembre et on commémore alors la victoire des Patriotes à Saint-Denis-sur-Richelieu.»

Commémoration fréquentée au départ par des adeptes de l’histoire des Patriotes, puis les rangs se gonflent avec l’arrivée des mouvements nationalistes et indépendantistes de l’époque, tel le Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN). Rappelons que, à cette même époque, le Front de libération du Québec (FLQ) n’hésite pas à emprunter à l’iconographie des Patriotes.

Cette commémoration en novembre — qui par ailleurs existe encore — prendra suffisamment d’ampleur pour que, en 1982, René Lévesque, alors premier ministre, reconnaisse par décret la légitimité de la Journée des Patriotes, sans toutefois franchir l’étape du congé férié.

Aujourd’hui, la Journée nationale des Patriotes, organisée par le Mouvement national des Québécoises et des Québécois (MNQ), compte de nombreuses activités dans plusieurs lieux au Québec. «Nous travaillons pour que cette Journée nationale des Patriotes ne soit pas perçue uniquement comme un congé, souligne Alcide Clément, mais comme une véritable fête où on honore les Patriotes, mais qui nous permet aussi de rappeler l’importance de connaître notre histoire.»

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