Vente de blindés: Daniel Turp remporte une première manche

L’ex-député tente de faire invalider un contrat de 15 milliards entre le fabricant et le régime saoudien

Hélène Buzzetti  |  Le Devoir

La ministre des Affaires étrangères avait annoncé l’été dernier qu’elle réviserait le dossier après que Riyad eut reconnu avoir utilisé des véhicules blindés canadiens contre des civils.

Le professeur Daniel Turp a gagné la première manche dans sa bataille contre Ottawa pour faire invalider la vente de véhicules blindés légers à l’Arabie saoudite. La Cour fédérale a conclu que sa cause pouvait aller de l’avant car elle n’est ni « redondante » ni nécessairement vouée à l’échec.

Le constitutionnaliste et ex-député bloquiste puis péquiste, aidé par une poignée de ses étudiants en droit de l’Université de Montréal, tente de faire invalider un contrat d’une valeur estimée à 15 milliards liant le manufacturier ontarien General Dynamics Land Systems (GDLS) au régime saoudien.

Le nombre de véhicules blindés légers (VBL) que l’entreprise doit fournir n’a pas été divulgué, bien que certains parlent de milliers.

Le contrat a été approuvé par le gouvernement conservateur, mais ce sont les libéraux de Justin Trudeau qui ont délivré en avril 2016 les premiers permis d’exportation.

M. Turp a tenté une première fois — en vain — de faire invalider ces permis au motif qu’Ottawa ne s’était pas acquitté de son obligation légale de s’assurer que le matériel ne serait pas utilisé contre des civils.

La Cour fédérale a tranché en janvier dernier qu’Ottawa avait fait les vérifications nécessaires. La Cour s’était appuyée sur un mémo secret fourni par Affaires mondiales Canada concluant après analyse qu’il n’y avait pas de risque pour les civils saoudiens.

Mais cette assurance a volé en éclats l’été dernier quand des photos ont prouvé que les VBL canadiens ont été utilisés par le régime contre les civils lors du siège de la ville d’Awamiyah. L’ambassade saoudienne à Ottawa a reconnu ces faits.

M. Turp tente donc à nouveau de faire invalider les permis d’exportation sur la foi de ce dernier développement. Ottawa voulait faire invalider cette seconde démarche parce qu’elle ne « présente aucune chance de succès, qu’elle est redondante et qu’elle constitue ultimement un abus de procédure ». C’est cette tentative que le juge Luc Martineau a rejetée mardi.

 

La volonté d’Ottawa d’empêcher la poursuite  démontre à quel point on était mal à l’aise avec le recours

Daniel Turp, professeur de droit à l’UdeM

 

« La cause d’action en 2017 n’est pas la même qu’en 2016 », écrit le juge, qui ajoute plus loin que « les paramètres ont indéniablement changé depuis l’autorisation ministérielle de 2016. Comme la ministre refuse de suspendre ou d’annuler les licences d’exportation délivrées à GDLS, il incombera à cette Cour d’effectuer une évaluation de la raisonnabilité de la nouvelle décision de la ministre lors d’une audition de fond ».

Le juge rappelle que la première cause consistait à s’assurer que le gouvernement avait fait les vérifications nécessaires avant de délivrer les licences d’exportation. La nouvelle cause consiste à déterminer si le refus du gouvernement d’annuler les licences, sachant que les véhicules blindés ont été utilisés contre des civils, « constitue une décision déraisonnable ».

M. Turp a indiqué qu’il accueille « avec un enthousiasme certain » cette décision. « La volonté d’Ottawa d’empêcher la poursuite démontre à quel point on était mal à l’aise avec le recours. »

La ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, avait annoncé l’été dernier qu’elle réviserait le dossier après que Riyad eut reconnu avoir utilisé des VBL canadiens contre des civils. La conclusion de cette révision — si elle a été menée à terme — n’a jamais été rendue publique.

« Le flou existe », se plaint d’ailleurs M. Turp. Il se félicite que le juge ne se soit pas laissé arrêter par ce flou et ait accepté d’aller de l’avant avec la cause. Le bureau de Mme Freeland n’a pas répondu à nos questions.

La première cause de M. Turp a par ailleurs été portée en appel et une décision est imminente.

En soirée, Affaires mondiales Canada a fait parvenir une réaction écrite dans laquelle il est indiqué que « le Canada s’attend à ce que l’utilisateur final de toutes les exportations respecte les conditions d’utilisation finale précisées dans les permis d’exportation délivrés » et que « le Canada a précisé directement au Royaume d’Arabie saoudite que ses opérations de sécurité doivent respecter les droits internationaux de la personne ».

 

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