Victor Morin

Victor Morin
Victor Morin

Victor Morin (1865-1960) fut président de la SSJB de Montréal de 1915 à 1924. Ce notaire – qui sera à l’origine du livre des Procédures des assemblées délibérantes, publié pour la première fois en 1938 et connu sous le nom de Code Morin – accédait à la présidence de notre société peu de temps après le départ du bouillant Olivar Asselin, qui avait été pour ainsi dire un pavé dans la mare pour l’auguste société (notamment dans « l’affaire du mouton » que nous avons déjà relatée dans une édition précente).

On ne peut, en un court texte, recenser tous les faits d’armes auxquels fut associé, quand il n’en fut pas le seul maître d’oeuvre, Victor Morin, c’est pourquoi nous jetterons notre dévolu sur son oeuvre la plus visible, devenue depuis une icône de Montréal : l’érection d’une croix sur le mont Royal.

Rappelons que l’idée d’ériger une croix au sommet du mont Royal remontait à l’année 1874, quand l’abbé Alexandre-Marie Deschamps la proposa afin de répéter, en le magnifiant, le geste de Paul Chomedey de Maisonneuve, qui en 1643, pour rendre grâce à Dieu d’avoir épargné Ville- Marie d’une inondation imminente, alla planter une croix sur la montagne. La proposition de l’abbé Deschamps sombra dans l’oubli jusqu’à ce que Victor Morin la remette sur le tapis dans les années 1920.

Si le projet suscita beaucoup d’enthousiasme, quelques voix discordantes s’élevèrent, notamment celle de l’artiste Suzor-Côté, qui, dans une lettre à Victor Morin, se prononça contre, « pour des raisons purement esthétiques », comme d’autres aujourd’hui formulent des objections semblables face à l’installation d’éoliennes. Il s’en trouva même à l’intérieur de la Société pour suggérer au président d’abandonner le projet, d’autant qu’un comité chargé d’amasser les sommes nécessaires peinait à y arriver. Edmond Montet vint pour ainsi dire sauver la mise à son ami Morin en proposant cette idée ingénieuse que les élèves des écoles catholiques s’impliquent dans une grande collecte de fonds. Les autorités scolaires de Montréal acceptèrent ainsi que les enfants vendent des vignettes à l’effigie de la croix. Offerts à cinq sous chacun, ces timbres, n’avaient pas une vocation postale, permirent d’amasser plus de 10 000 dollars, une somme colossale pour l’époque, et, si je me fie à mon propre bas de laine, encore colossale de nos jours.

C’est Morin lui-même, aidé en cela par un ingénieur de la ville de Montréal, qui choisit l’emplacement, sur le flanc oriental du mon Royal, où sera érigée la croix. La ville concédera le terrain. Pas moins de treize plans originaux pour cette croix furent soumis à la SSJB, et c’est le projet de l’abbé Pierre Dupaigne qu’on choisit.

croixEn 1924, la croix du mont Royal devenait donc la cerise sur le sundae de ces célébrations du 24 juin, qui, d’autre part, renouaient cette année-là avec la tradition d’organiser un défilé, mais cette fois doté d’un thème unique « Ce que l’Amérique doit à la race française ». C’était aussi l’occasion de tenir un important congrès patriotique, auquel assistèrent une centaine de délégués.

Alors que la procession arrivait à son terme au parc Jeanne-Mance, là-haut, sur la montagne, où il n’y avait pas encore de vieux chalet, parmi les dignitaires et les écureuils, on bénissait la pierre angulaire de la croix. Cette journée-là, Victor Morin déclara : Sur la cime du mont Royal, au milieu de la verdure des grands arbres, une croix lumineuse élèvera bientôt ses bras pour attester que la métropole étendue à ses pieds a grandi sous l’égide du Christ. Amorcée en mai, la construction se termina en septembre. La première illumination eut lieu la veille de Noël de la même année.

Outre le fait de rappeler l’acte de foi du sieur de Maisonneuve, cette croix était porteuse de symboles puissants pour les Canadiens français, comme celui d’avoir survécu malgré les obstacles et les anglos, et sonné le réveil nationaliste des années 1920. Dans une ville où l’affichage était surtout en anglais, où l’anglicisation gagnait sans cesse du terrain, où l’immigration risquait d’amoindrir son caractère chrétien, planter une croix était en soit un manifeste. On raconte que les dirigeants de la SSJB parlaient de ce monument comme de la seule croix que notre peuple n’ait pas eu à porter. Et pour cause !

Jean-Pierre Durand