Jacques Lanctôt | Journal de Montréal
Denis-Benjamin Viger est sans doute à l’image du Québécois moyen, velléitaire et ambivalent. Nationaliste modéré, il s’apprête malgré tout à voter pour la CAQ, qui ne propose aucune rupture de l’ordre constitutionnel actuel, bien au contraire.
Viger était un nationaliste modéré qui fut emprisonné pendant dix-neuf mois après les rébellions de 1838 parce qu’il était propriétaire de journaux séditieux, c’est-à-dire contre la domination anglaise sur ce qu’était alors le Canada (français). Cela ne l’empêcha pas d’entrer au Conseil exécutif en 1843 en devenant premier ministre du Canada-Uni, puis au Conseil législatif du Canada-Uni.
Ambivalence
Après les dramatiques épisodes de la double défaite, celle de 1760 et celle de 1837-1838 et toutes les exactions qui suivirent, le ciel nous est tombé sur la tête, peut-on dire, avec L’Acte d’Union de 1840, « une période sombre […] résultat d’un long processus au cours duquel l’union a joué un rôle charnière permettant aux élites britanniques de modeler le pays à venir à leur image et en fonction de leurs intérêts ». Pour l’historien Maurice Séguin, l’Acte d’Union n’est que la consolidation de l’emprise britannique sur le Canada. Il se trouvait même des Britanniques pour vouloir notre extermination en souhaitant « nous balayer de la face de la terre ». Durham les écoutera abondamment et proposera plus ou moins un génocide en douceur.
Viger est ambivalent à plus d’un point de vue. Il prêche pour l’unité des forces, mais s’éloigne de LaFontaine, un leader nationaliste réputé. Il refuse les alliances avec les réformistes, mais minaude devant le gouverneur pour obtenir plus de concessions, à tel point qu’on le qualifie d’« apostat » et de traître. Même son cousin Louis-Joseph Papineau s’en éloigne. Il fait souvent preuve d’angélisme et de « modérantisme », ne saisissant pas que « le pouvoir politique impérial est intimement lié aux intérêts économiques et financiers de l’oligarchie ». En d’autres mots, les Britanniques ne céderont rien aux Canadiens pour leurs beaux yeux, et s’ils le font, c’est pour mieux assimiler les Canadiens, selon la stratégie préconisée par Durham. Papineau n’avait aucune confiance envers Downing Street et proposait même l’annexion aux États-Unis pour sortir du giron colonial britannique. Il reprochait à Viger de faire preuve d’une grande naïveté et qu’il s’attirait « des chagrins amers ».
Mais…
Mais cela ne signifie pas que Viger n’a pas de bonnes idées. Par exemple, celle de la double majorité, qui ferait en sorte que chaque entité nationale ait son propre gouvernement et n’ait aucun compte à rendre. Il refuse l’idée d’une fédération où les Canadiens français seraient immanquablement dominés politiquement. Mais, aussi paradoxal que cela puisse paraître, « il s’oppose à la loi visant à indemniser ceux qui ont subi des pertes durant les soulèvements de 1837-1838 au Bas-Canada », pour des questions de principes.
Notre « retard » n’est donc pas d’ordre génétique, mais d’ordre historique et s’explique par notre domination séculaire dans tous ces domaines si importants pour notre développement économique et culturel. Et aussi, sans aucun doute, par la présence d’une élite politique naïve, comme Viger, qui croyait que le peuple canadien pourrait s’épanouir et se fortifier sous la protection l’Angleterre », oubliant que « la métropole anglaise avait ses propres intérêts dans la possession de ses colonies ». 175 ans plus tard, on en est encore là.
Denis-Benjamin Viger Un patriote face au Canada-Uni
par Martin Lavallée – Editions VLB