VIVE LE QUÉBEC LIBRE ! QUARANTE-CINQ ANS DÉJÀ ! Heureux qui, comme Onésime, a vu le grand Charles

Chronique de Jean-Pierre Durand publié dans Vigile.net lundi le 23 juillet 2012

«J’aimerais bien que mes jeunes camarades et amis au RRQ et à la SSJB puissent remonter dans le temps aussi facilement que Michael J. Fox dans « Retour vers le futur » et assister à ce moment historique du grand Charles sur le petit balcon.

Le 24 juillet 1967, j’avais treize ans. CKAC venait d’annoncer que le convoi avec la limousine dans laquelle prenait place le général De Gaulle arrivait sur l’île de Montréal. Je n’avais pas fait ni une ni deux, que déjà j’enfourchais ma bicyclette et roulais pleins gaz, comme accourant à l’appel de l’Histoire, pour accueillir avec la foule en liesse l’illustre visiteur. Je n’avais aucun drapeau tricolore à brandir, aucun fleurdelisé à agiter, mais peu importe, j’étais là, ému, pour le voir passer et cela suffisait.»

Plus tard durant cette même journée, il y eut l’épisode archiconnu sur le balcon de l’hôtel de ville, quand le grand Charles, les bras levés, lança devant un parterre conquis et subjugué la célèbre phrase de quatre mots, dont le dernier fit florès : VIVE LE QUÉBEC LIBRE ! Il paraît qu’on entendit la déflagration jusqu’à Ottawa, et même jusqu’à Washington et Londres. Dans mon ciboulot de préado, cette phrase avait la même résonance que celle lancée par Frontenac en 1690 à l’intention de l’amiral anglais Phips, qui lui demandait de rendre les armes : je vous répondrai par la bouche de mes canons !

Quarante-cinq ans plus tard, ce cri puissant du général, empreint d’affection et tant attendu, enrage encore les autorités canadiennes, les fédéralistes et tous leurs lèche-culs. Gageons que cela les dérangera ad vitam aeternam, donc même quand nous aurons accédé à l’indépendance.

Le dimanche d’après, alors que le président de la Cinquième République avait prestement regagné la France, nous allions en famille, dans la Beaumont propre comme un sou neuf, chez mes grands-parents Beauregard, à Mascouche, dans le rang du Petit-Coteau. Comme il faisait une journée magnifique, plusieurs tantes, oncles et cousins s’y étaient donné rendez-vous. Toutes les chaises pliantes avaient été réquisitionnées pour asseoir tout un chacun sur la longue galerie, parsemée de glaïeuls, longeant la maison. Cette journée-là, l’attention était rivée sur grand-papa Onésime, un homme toujours recevant, mais d’ordinaire peu causant (grand-maman Alda était plus jaseuse), parce qu’il avait vu de ses propres yeux passer le convoi du général, alors qu’il posait du gazon chez un client. Pensez donc, le premier homme de France, parcourant le Chemin du Roy, en saluant les descendants de ces premiers Français ayant accosté en Amérique quelque trois cents ans plus tôt. Ce n’était pas rien.

Eh oui, Onésime, dont l’ancêtre André Jarret, sieur de Beauregard, arriva en Nouvelle-France en août 1665, à bord du navire « L’Aigle d’Or ». Il s’établit par la suite à Verchères avec femme et enfants. Il fut capturé en 1691 par les Iroquois, traîné jusqu’à leurs terres (l’actuel état de New York) et vraisemblablement massacré. Les Beauregard en auraient sûrement gardé une crotte sur le coeur contre ces Amérindiens alliés des Hollandais, n’eut été de la nièce d’André Jarret, prénommée Madeleine, qui quelques années plus tard, repoussa avec courage et quasiment à elle seule la horde sauvage qui l’assaillait. La rancune des Beauregard contre les Iroquois s’estompa donc. Pour ceux qui en doutent, demandez à Sylvie Mérineau, présidente de section à la SSJB de Montréal, qui m’avait gentiment invité le 2 juillet dernier à un pique-nique d’accueil, dans le vieux port de Montréal, pour l’arrivée de quelques rabaskas conduits par des Iroquois. Elle vous confirmera que je n’avais pas peur de casser la croûte (avec de succulents sandwichs pas de croûte) avec ces descendants d’adversaires redoutables. Nous aurions même pu fumer le calumet de paix, si un règlement municipal ne l’avait pas interdit.

Dans les semaines qui ont suivi la visite du général De Gaulle, qui se termina – le fédéral aidant – par un coït interrompu, mes amis et moi tentâmes de répercuter son message de quatre mots en l’inscrivant sur des centaines de minuscules bouts de papier, que nous jetions ensuite par les fenêtres des autobus et qui se répandaient comme autant d’ »hélicoptères » (ou disamares). Cette action citoyenne, pour parler le langage d’aujourd’hui, cessa avec les derniers jours d’Expo 67. À la rentrée scolaire, parmi le lot d’enseignants chargés de nous instruire, il y en avait un à l’allure hippie qui se détachait du rang. Il portait souvent une chemise carreautée qui donnait de l’urticaire à Émile Robichaud, une sorte de majordome qui dirigeait l’école. Pas étonnant que Pierre Dupras (c’est le nom du prof) plut tout de suite aux élèves, pour qui le port de la cravate était obligatoire. Dupras enseignait l’Histoire et, dans ses temps libres, il était le caricaturiste et bédéiste attitré de Québec-Presse, un hebdomadaire indépendantiste et de gauche. Je ne crois pas que Dupras était historien de formation, mais il racontait l’Histoire aussi bien il me semble que ne le font un Marcel Tessier ou un Jean-Claude Germain. C’était jouissif, voire « tripatif » comme dirait l’autre. En prime, Dupras nous montra comment dessiner le célèbre général avec le képi du gendarme de Saint-Tropez. C’est le seul dessin que je suis encore capable de réaliser les yeux fermés.

À la même époque, mais de l’autre côté de l’Atlantique, un artiste, bien différent j’en conviens, dessinait des filles légèrement vêtues, ou pin up comme on dit en France, pour le magazine masculin Lui. Il s’appelait Alain Aslan. Je me rappelle (et sûrement vous aussi, avouez-le donc !) m’être rincé l’oeil souventes fois dans les pages de ce mensuel, qui aurait avantageusement pu faire office de supplément illustré au livre Savoir aimer de l’abbé Marc Oraison qu’on devait lire dans la classe de catéchèse. Enfin…

Quelle ne fut donc pas ma surprise, en 2007, d’apprendre que c’est le même Aslan, venu s’établir depuis dans les Laurentides, qui avait sculpté un buste du général De Gaulle. D’aucuns diront qu’Aslan était doué pour les bustes depuis longtemps, mais quand même. Le buste en question fut proposé à la ville de Montréal, mais celle-ci, par trop craintive d’indisposer Ottawa, la reine, les oreilles et son petit prince, n’acceptait de le prendre qu’à la condition de l’installer dans un endroit discret et à l’abri du public ! Alors que dans cette même ville de Montréal, la reine Victoria, cette poufiasse qui picolait sans arrêt, a droit à un énorme monument… mais ça, c’est une autre histoire. Heureusement, l’éditeur Michel Brûlé répara l’affront et installa devant ses bureaux d’affaires ladite sculpture. En 2008, l’ »intouchable » éditeur, à qui j’ai pourtant déjà serré la pince, offrit à la SSJB le buste. Un pareil cadeau, cela ne se refuse pas. C’est ainsi que De Gaulle se retrouve maintenant devant le 82 rue Sherbrooke Ouest, à Montréal. Mario Beaulieu, le président de la SSJB, raconte, avec un brin de malice dans le regard, que des touristes lui ont parfois demandé si la maison Ludger-Duvernay, siège social de la SSJB, était bien l’hôtel de ville où avait été prononcée la célèbre phrase !

Quarante-cinq années se sont écoulées et pourtant c’était hier. Je me trouve chanceux d’avoir vu – oh, pendant quelques secondes à peine – le général, et j’aimerais bien que mes jeunes camarades et amis au RRQ et à la SSJB puissent remonter dans le temps aussi facilement que Michael J. Fox dans « Retour vers le futur » et assister à ce moment historique du grand Charles sur le petit balcon. Quant à moi, probable que je leur fausserais compagnie, non par manque de conviction, mais pour aller retrouver grand-papa Onésime sur la grande galerie de la maison du Petit-Coteau…