Article d’Ouhgo publié dans Tribune libre de Vigile le 14 janvier 2012
DÈS L’ÂGE DE 17 ANS, IL AVAIT PUBLIÉ « L’INSURRECTION » (1838)
Chauveau, Premier Ministre du Québec (1867), écrivain engagé
Son « Charles Guérin » (1846) dénonce invasion immigrante, oppression du boss
Nous avons antérieurement parlé de la première poussée indépendantiste au Québec autour des années 1930, avec Bourassa et Groulx Lire l’article…. Or il appert que la révolte des Patriotes en 1837, suivie de la solution Durham, ait inspiré déjà le désir d’une revanche des descendants de Nouvelle-France.
On ne sait pas toujours que Pierre Joseph Olivier Chauveau, premier Premier Ministre du Québec dans la Confédération canadienne (1867), sous l’émulation des politiciens français Châteaubriand et Victor Hugo, ou même de Balzac, succomba à la tentation de publier ses réflexions politiques. Mais l’époque surchauffée en étant une de répression, s’il signa, exceptionnellement, ses feuilletons, il dut utiliser les genres fictifs, comme la poésie et le roman. Et ce genre étant quand même suspect, il décrivit les « mœurs canadiennes » dans son roman « Charles Guérin » avec tellement de périphrases que les premiers critiques le reçurent comme insignifiant.
Pourtant Maurice Lemire, qui présente l’édition de Fides, en 1978, en donne un éclairage sans équivoque.
« Dans cette intrigue, tout l’odieux retombe sur Wagnaër, le marchand. Mais est-ce véritablement un Anglais ? Le romancier a délibérément voulu entretenir la confusion à ce sujet. Nulle part, il ne parle de lui comme d’un Anglais. Cet immigrant des îles anglo-normandes est sûrement sujet britannique et protestant, mais il pourrait également être de culture française comme beaucoup d’habitants de ces îles. Chauveau le qualifie toujours de « jersais » ou encore d’étranger, sans plus…
… Mais l’artifice du romancier ne doit pas nous tromper, Wagnaër est vraiment l’agent principal de corruption. C’est avec son arrivée que s’est déclenché le temps tragique qui doit conduire la famille Guérin à la catastrophe. Avant c’était le temps édénique qui ne mesurait que des journées de bonheur. Les Guérin jouissaient d’une supériorité de fortune que personne ne songeait à leur disputer… Pour un marchand anglais, il n’existe plus aucune valeur absolue et tout peut être objet de spéculation. Voilà ce que décrit Chauveau en termes généraux dans la lettre de Pierre Guérin à sa mère :
« Dévorer comme un vampire toutes les ressources d’une population ; déboiser les forêts avec rage et sans aucune espèce de prévoyance de l’avenir ; ne pas voler ouvertement mais voler par réticence, et en détail, en surfaisant à des gens qui dépendent uniquement de vous, ce qu’ils pourraient avoir à meilleure composition partout ailleurs ; reprendre sous toutes les formes imaginables aux ouvriers que l’on emploie le salaire qu’on leur donne ; engager les habitants à s’endetter envers vous, les y forcer même de plus en plus une fois qu’on les tient dans les filets, jusqu’à ce qu’on puisse les exproprier forcément et acheter leurs terres à vil prix ; voilà ce que certaines gens appellent du commerce et de l’industrie. »
En fait l’introduction de l’industrie et du commerce en particulier au Canada (Qc) par les marchands anglais allait provoquer un affrontement de deux morales, l’une traditionnelle, fondée sur les principes immuables de la religion, l’autre opportuniste, appelée « morale de situation » qui ne vise qu’à légitimer par des arguments spécieux des actes franchement malhonnêtes. C’est le choc de ces deux morales que nous présente « Charles Guérin ».